Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/43

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La Fère, 1er août, midi.

Je pense avec bien de la joie, mon Adèle, que dans deux jours j’aurai de tes nouvelles à Abbeville. J’espère que tu te seras bien amusée, et que tu auras trouvé nos excellents amis plus excellents que jamais. Quant à moi, j’ai trouvé les auberges plus exécrables qu’en aucun temps et qu’en aucun pays jusqu’à ce jour.

Je voyage fort au hasard, faisant quelquefois de bons bouts de route à pied et trouvant des voitures à grand’peine. Je vois chemin faisant d’admirables choses, ce qui me console. J’ai vu Château-Thierry et la maison de La Fontaine, qui est à vendre. Un vieux président nommé M. Tribert qui l’habite m’en a fait les honneurs.

À Soissons, j’ai visité les belles ruines de Saint-Jean avec la famille du commandant d’artillerie, M. de Bonneau. Famille aimable et très hospitalière.

À deux lieues de Soissons, dans une charmante vallée repliée loin de toute route, il y a un admirable châtelet du quinzième siècle encore parfaitement habitable. Cela s’appelle Septmonts. J’ai prié M. de Bonneau de me donner avis si jamais on voulait vendre ce château une dizaine de mille francs. Je te l’achèterais, mon Adèle. C’est la plus ravissante habitation que tu puisses te figurer. Une ancienne maison de plaisance des évêques de Soissons.

Tu ne peux t’imaginer la beauté de la vallée de Soissons quand on monte la côte vers Coucy, je l’ai montée à reculons tant c’était beau. Les deux flèches à jour de Saint-Jean, la cathédrale, la ville pleine de vieilles tours et de pignons taillés, de superbes horizons verts et bleus, une charmante rivière qui se noue et se dénoue à tous les angles du paysage, juge ! Je t’aurais bien voulue là, mon pauvre ange, mais j’aurais plaint tes pauvres pieds obligés de faire quatre lieues de montagnes dans les cailloux jusqu’à Coucy.

Je renonce à te peindre Coucy. Je t’en parlerai. C’est une ville du moyen-âge sur une colline, presque intacte, avec un admirable donjon au bout, comme l’ongle au bout du doigt. Tout cela dans une plaine magnifique, coupée de rizières, de routes jaunes, de cours d’eau et de chemins bordés de pommiers bas qui peignent les charrettes de foin au passage.

De Coucy à Laon, il y a un M. de Coutoul qui mystifie les voyageurs avec une espèce de tour factice en gothique d’horloger, cachée dans les arbres, laquelle m’a coûté trente sous donnés au laquais qui me l’a montrée, Que le diable l’emporte !