Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome II.djvu/156

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Il y a deux lignes de douanes.

— Je le sais bien.

— Vous me les ferez passer ?

— Sans doute.

— Vous ne craignez donc pas les douaniers ?

— Je crains les chiens.

— En ce cas, dit Cournet, nous prendrons des bâtons. Ils s’armèrent de gros bâtons en effet. Cournet donna à Henry cinquante francs et lui en promit cinquante autres quand ils auraient franchi la seconde ligne de douane.

— C’est-à-dire à quatre heures du matin, dit Henry.

Il était minuit.

Ils se mirent en route.

Ce que Henry appelait les « passages », un autre eût appelé cela les obstacles. C’était une succession non interrompue de casse-cous et de fondrières. Il avait plu. Tous les trous étaient des flaques d’eau.

Un sentier inouï serpentait à travers un dédale inextricable, tantôt épineux comme une bruyère, tantôt fangeux comme un marais.

La nuit était noire.

De temps en temps, loin dans l’obscurité, ils entendaient un chien aboyer. Le contrebandier faisait alors des coudes et des zigzags, coupait brusquement à droite ou à gauche, et quelquefois revenait sur ses pas.

Cournet sautant les haies, enjambant les rigoles, buttant à chaque instant, glissant dans les bourbiers, se raccrochant aux ronces, les habits en lambeaux, les mains en sang, mourant de faim, cahoté, harassé, épuisé, exténué, suivait son guide joyeusement.

A toute minute un faux pas ; il tombait dans un cloaque et se relevait couvert de boue. Enfin il tomba dans une mare. Il y avait quatre pieds d’eau, cela le lava.

— Bravo, dit-il, je suis très propre, mais j’ai très froid.

A quatre heures du matin, ainsi que Henry l’avait promis, ils étaient à Messine, village belge. Les deux lignes de douanes étaient franchies. Cournet n’avait plus rien à craindre ni de la douane, ni de la police, ni du coup d’État, ni des hommes, ni des chiens.

Il donna à Henry les seconds cinquante francs, et continua sa route à pied un peu au hasard.

Ce ne fut que vers le soir qu’il atteignit un chemin de fer. Il y monta et à la nuit tombée il débarqua à la station du Midi, à Bruxelles.

Il avait quitté Paris la veille, n’avait pas dormi une heure, avait marché toute la nuit et n’avait rien mangé. En fouillant dans sa poche, il ne trouva plus