Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome II.djvu/20

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L’un, homme de trente-huit ans, était retors, intrépide, ingrat ; trois qualités pour réussir. Le duc d’Aumale, dans l’Aurès, lui avait sauvé la vie. C’était alors un jeune capitaine. Une balle lui traversa le corps, il tomba dans les buissons, les kabyles accoururent pour lui couper et lui emporter la tête, le duc d’Aumale survint avec deux officiers, un soldat et un trompette, chargea les Kabyles et sauva ce capitaine. L’ayant sauvé, il l’aima. L’un fut reconnaissant, l’autre pas. Le reconnaissant, ce fut le sauveur. Le duc d’Aumale sut gré à ce jeune capitaine de lui avoir donné l’occasion d’un fait d’armes. Il le fit chef d’escadron ; en 1849, ce chef d’escadron fut lieutenant-colonel, commanda une colonne d’assaut au siège de Rome, puis revint en Afrique, où Fleury l’embaucha en même temps que Saint-Arnaud. Louis Bonaparte le fit colonel en juillet 1851, et compta sur lui. En novembre, ce colonel de Louis Bonaparte écrivait au duc d’Aumale : « Il n’y a rien à attendre de ce misérable aventurier. » En décembre, il commandait un régiment meurtrier. Plus tard, dans la Dobrudcha, un cheval maltraité se fâcha et d’un coup de dent lui arracha une joue, de sorte qu’il n’y eut plus place sur ce visage que pour un soufflet.

L’autre grisonnait et avait quarante-huit ans. C’était, lui aussi, un homme de plaisir et de meurtre. Comme citoyen, abject ; comme soldat, vaillant. Il avait sauté un des premiers sur la brèche de Constantine. Beaucoup de bravoure et de bassesse. Aucune chevalerie, que d’industrie. Louis Bonaparte l’avait fait colonel en août 1851. Ses dettes avaient été payées deux fois par deux princes, la première fois par le duc d’Orléans, la seconde fois par le duc de Nemours.

Tels étaient ces colonels.

Saint-Arnaud leur parla quelque temps à voix basse.