Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Histoire, tome II.djvu/45

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Boulé s’excusa ; ses presses avaient été envahies à minuit par les sergents de ville.

Par nos soins, et grâce au patriotique concours de plusieurs jeunes élèves en chimie et en pharmacie, on avait fabriqué de la poudre dans plusieurs quartiers. Sur un seul point, rue Jacob, on en avait fabriqué cent kilogrammes dans la nuit. Comme cette fabrication se faisait principalement sur la rive gauche et que le combat avait lieu sur la rive droite, il fallait faire passer les ponts à cette poudre. On s’y prenait comme on pouvait. Vers neuf heures, nous fûmes avertis que la police, informée, avait organisé une surveillance et qu’on fouillait les passants, particulièrement sur le Pont-Neuf.

Un certain plan stratégique se dessinait. Les dix ponts du centre étaient gardés militairement.

On arrêtait dans les rues les gens sur la mine. Un sergent de ville, à l’angle du Pont-au-Change, disait assez haut pour que les passants l’entendissent : Nous empoignons tous ceux qui n’ont point la barbe faite ou qui ont l’air de n’avoir pas dormi.

Quoi qu’il en fût, nous avions un peu de poudre ; le désarmement de la garde nationale dans plusieurs quartiers avait produit environ huit cents fusils, nos proclamations et nos décrets s’affichaient, notre voix arrivait au peuple, une certaine confiance naissait.

— Le flot monte ! le flot monte ! disait Edgar Quinet, qui était venu me serrer la main.

On nous annonçait que les écoles s’insurgeraient dans la journée et nous offriraient un asile au milieu d’elles. Jules Favre s’écriait avec joie :

— Demain nous daterons nos décrets du Panthéon.

Les symptômes de bon augure se multipliaient. Un vieux foyer d’insurrection, la rue Saint-André-des-Arts, s’agitait. L’association dite la Presse du travail donnait signe de vie. Quelques vaillants ouvriers, groupés autour d’un des leurs, Nétré, rue du Jardinet, n° 13, avaient presque organisé une petite imprimerie, dans une mansarde, à quelques pas d’une caserne de la gendarmerie mobile. Ils avaient passé la nuit, d’abord à rédiger, puis à imprimer un Manifeste aux Travailleurs, qui appelait le peuple aux armes. Ils étaient cinq hommes habiles et résolus ; ils s’étaient procuré du papier ; ils avaient des caractères tout neufs ; les uns mouillaient pendant que les autres composaient ; vers deux heures du matin, ils s’étaient mis à imprimer ; il ne fallait pas être entendus des voisins ; ils avaient réussi à étouffer les coups sourds du rouleau à l’encre alternant avec le bruit rapide du rouleau de laine. En quelques heures quinze cents exemplaires étaient tirés, et au point du jour ils étaient placardés au coin des rues. Un de ces travailleurs intrépides,