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XVII. Rendez-vous avec les associations ouvrières

Que faisait et que devenait notre comité pendant ces choses tragiques ? il est nécessaire de le dire.

Revenons à quelques heures en arrière.

Au moment où l’étrange tuerie commença, le siège du comité était encore rue Richelieu. J’y étais rentré après l’exploration que j’avais cru devoir faire dans plusieurs des quartiers insurgés, et j’en rendais compte à mes collègues. Madier de Montjau, qui arrivait lui aussi des barricades, ajoutait à mon rapport ce qu’il avait vu lui-même. Nous entendions depuis quelque temps d’effroyables détonations, et très proches, qui se mêlaient à nos paroles. Tout à coup Versigny survint. Il nous annonça qu’il se passait sur le boulevard quelque chose d’horrible ; qu’on ne pouvait savoir encore ce que c’était que cette mêlée, mais qu’on canonnait, et qu’on mitraillait, et que les cadavres jonchaient le pavé ; que selon toute apparence c’était un massacre, une sorte de Saint-Barthélemy improvisée par le coup d’État ; qu’on fouillait les maisons à quelques pas de nous, et qu’on tuait tout. Les massacreurs allaient de porte en porte et approchaient. Il nous engagea à quitter sur-le-champ la maison Grévy. Il était évident que le comité d’insurrection serait une trouvaille pour les bayonnettes. Nous nous décidâmes à partir. Un homme élevé par le caractère et par le talent, M. Dupont White, nous offrait un asile chez lui, rue du Mont-Thabor, 11. Nous sortîmes par la porte de service que la maison Grévy avait sur la rue Fontaine-Molière, mais sans hâte, et deux à deux, Madier de Montjau avec Versigny, Michel (de Bourges) avec Carnot ; je donnais le bras à Jules Favre. Jules Favre, toujours intrépide et souriant, se noua un foulard sur la bouche, et me dit : Je veux bien être fusillé ; mais je ne veux pas m’enrhumer.

Nous gagnâmes, Jules Favre et moi, les derrières de Saint-Roch par la rue des Moulins. La rue Neuve-Saint-Roch était inondée d’un flot de passants effrayés qui venaient des boulevards, fuyant plutôt que marchant. Les hommes parlaient à voix haute, les femmes criaient. On entendait le canon et le râle déchirant de la mitraille. Toutes les boutiques se fermaient. M. de Falloux, donnant le bras à M. Albert de Rességuier, descendait à grands pas le long de Saint-Roch et se hâtait vers la rue Saint-Honoré.

La rue Saint-Honoré n’était qu’une rumeur. Les gens allaient, venaient, s’arrêtaient, s’interrogeaient, couraient. Les marchands sur le seuil de leurs portes entrebâillées