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POST-SCRIPTUM DE MA VIE.

en renversant la monarchie en France, jettent bas la tyrannie dans l’univers ; qui éclairent, illuminent, chauffent, brûlent, foudroient, qui font sortir d’un seul gigantesque écroulement le radieux avènement du genre humain, qui font naître l’aurore du sépulcre, accouplent les extrêmes stupéfaits, agonisent et vagissent, maudissent et chantent, haïssent et adorent, résolvent tout en héroïsme, en joie et en amour, envoient expirer tous les grincements de la vieille serrure du despotisme dans l’humble cabinet de travail de Mount-Vernon, et finissent par faire de la clef de la Bastille le serre-papier de Wahington.

[1848-1852.]

Soit, la Révolution s’appelle la Terreur. Louis XV s’appelle l’Horreur.


Pas un nuage, le ciel est pur, le soleil rayonne, le paysage n’est que lumière ; ils pavoisent leurs barques, ils chantent, ils se laissent gaiement aller au courant de l’eau ; le fleuve, magnifique et paisible, s’élargit de plus en plus ; il est grand comme une mer, il est calme comme un lac ; il charrie des îles de fleurs, il réfléchit le ciel où il n’y a pas une ombre. Où vont-ils ? Ils ne le savent pas ; mais tout est beau, superbe et charmant. Ils entendent au loin, devant eux, dans les profondeurs de l’horizon inconnu, un bruit sourd et profond.

Où vont-ils ? Qu’importe ! Ils vont où va le fleuve. Ils savent bien qu’ils aborderont quelque part. Ils dérivent. Ils s’enivrent du chant des oiseaux, du parfum des fleurs qu’ils voient partout et qu’ils cueillent en passant, de la rapidité de l’eau, de la splendeur du ciel, de leur propre joie. Le bruit qui est à l’horizon se rapproche ; il y a quelques heures, les souffles du vent le couvraient parfois ; maintenant, on l’entend toujours.

Par moments le courant se ralentit, alors ils rament afin d’aller plus vite. C’est si charmant d’aller vite ! Passer comme des ombres devant des ombres, cela leur paraît être toute la vie. Ils sont si heureux qu’ils oublient qu’il y a une nuit ; ils sont si joyeux qu’ils défient Dieu. Le bruit se rapproche de moment en moment ; il ressemble au roulement d’un chariot. Ils commencent à se dire entre eux : Quel est ce bruit ?

Le fleuve est plein de détours. Cependant un coin du ciel devient brumeux. Quelque chose qu’on prendrait pour une fumée se dégage d’un point de l’horizon et fait une grande nuée. Cette nuée qui semble monter de la terre est tantôt à droite, tantôt à gauche. Est-ce elle qui change de place ou est-ce le fleuve qui a tourné ? Ils ne savent, mais ils admirent. C’est un