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POST-SCRIPTUM DE MA VIE.

Responsable, où ? comment ?

Dans cette vie ?

Évidemment non. Car quoi de plus démontré que la prospérité possible et fréquente des méchants et l’infortune imméritée des bons pendant leur passage sur la terre ? Combien d’hommes justes n’ont eu que misère et angoisse jusqu’à leur dernier jour ! combien d’hommes criminels et infâmes ont vécu jusqu’à la plus extrême vieillesse dans la jouissance paisible et sereine de tous les biens de ce monde, y compris la considération et le respect des vivants !

Donc l’homme n’est pas responsable dans cette vie.

Est-il responsable après la vie ?

Évidemment oui. Car puisqu’il est nécessairement responsable et que visiblement il ne l’est pas dans cette vie, il faut bien qu’il le soit après cette vie.

Donc quelque chose de lui lui survit pour subir cette responsabilité.

L’âme.

C’est-à-dire le moi.

Ainsi se trouve démontrée invinciblement cette vérité ravissante que les philosophes n’ont pas assez méditée :

La liberté de l’âme implique son immortalité.

Donc la mort n’est pas la fin de tout.

Elle n’est que la fin d’une chose et le commencement d’une autre.

A la mort, l’homme finit ; l’âme commence.

25 août 1844.

Altera vita.

Ah ! j’en atteste quiconque a regardé le visage mort d’un être aimé avec cette anxiété étrange qu’est l’espérance mêlée au désespoir ; je vous atteste vous tous qui avez traversé cette heure funèbre, la dernière de la joie, la première du deuil, n’est-ce pas qu’on sent bien que ce n’est là qu’un départ ? n’est-ce pas qu’on sent bien qu’il y a encore là quelqu’un ? que tout n’est pas fini ? que quelque chose est possible encore ! On sent autour de cette tête le frémissement des ailes qui viennent de se déployer. Une palpitation confuse et inouïe flotte dans l’air autour de ce cœur qui ne bat plus. Cette bouche ouverte semble appeler ce qui vient de s’en aller, et on dirait qu’elle laisse tomber des paroles obscures dans le monde invisible.

Cette stupeur qui est en nous, ce n’est pas le contact du néant, c’est la secousse que donne le choc de cette vie contre l’autre.

[1850.]