Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Philosophie, tome II.djvu/635

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teur, cette formule de honte : « Corde sincero et fide non ficta, abjuro, maledico et detestor supradictos errores et hœreses. » Le mensonge mettait à la science le bonnet d’âne. Galilée se courba devant l’orthodoxie ; Campanella non. L’inquisition mit Tomaso Campanella en prison pendant vingt-sept ans et l’appliqua à la question sept fois, et chaque fois la torture dura vingt-quatre heures. Quel était son attentat ? Avoir affirmé que le nombre des étoiles est infini. Ainsi les religions en viennent à ceci que, devant elles, l’infini est un crime.

Aux yeux du nihilisme, l’infini n’est pas criminel ; il est ridicule. On a entendu tout récemment en pleine académie savante, cette parole caractéristique : « Arrêtons-nous, car nous tomberions dans les puérilités de l’infini. » Et cette autre : « Ceci n’est pas sérieux, c’est de la religion. » Et cette autre : « Les penseurs rejettent le surnaturalisme.  »

Donc voilà la science, du moins une certaine science académique et officielle, aussi myope que l’idolâtrie. La science d’état donne la réplique à la religion d’état. Elle recule, elle aussi, devant l’infini. Ces rapetissements n’ont rien qui déplaise au maître. Là où il y a des sénats, cette science en est. Faire l’univers substance et bloc, faire du grand Tout une simple agrégation de molécules sans mélange d’aucun ingrédient moral, et par conséquent aboutir à ceci que la force est le droit, ce qui entraîne cette autre conséquence que la jouissance est le devoir, raccourcir l’homme à la bête, le diminuer de toute la hauteur de l’âme retranchée, en faire une chose comme une autre, cela supprime net bien des déclamations sur la dignité humaine, la liberté humaine, l’inviolabilité humaine, l’esprit humain, etc., et rend tout ce tas de matière plus maniable. L’autorité d’en bas, la fausse, gagne tout ce que perd l’autorité d’en haut, la vraie. Plus d’infini, partant plus d’idéal ; plus d’idéal, partant plus de progrès ; plus de progrès, partant plus de mouvement. Immobilité donc. Statu quo, étang ; c’est là l’ordre.

Il y a de la putréfaction dans cet ordre-là.

L’homme veut être eau courante. Chose merveilleuse, la liberté, c’est la santé. Un ruissellement, un murmure, une pente, un parcours, un but, une volonté, pas de vie sans cela. Sinon une prompte pourriture. Vous serez fétides, et vous donnerez aux autres votre peste. Le despotisme est miasmatique. Se délivrer, c’est se désinfecter. Aller en avant est un assainissement.

Il n’y en a pas moins des gens qui poussent le goût de la tranquillité jusqu’à admirer une civilisation à surface de marais.

L’âme dans l’homme est une inquiétude ; l’infini hors de l’homme est un appel. L’infini s’ouvre, l’âme entre. Entrer, c’est marcher ; entrer, c’est voler ; entrer, c’est planer. Qu’est cela ? C’est du désordre. Demandez à la cage ce qu’elle pense de l’aile. La cage répondra : l’aile, c’est la rébellion.