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LE POËTE.

Que fait à l’immortel votre éphémère empire ?
Sans les chants de sa voix, sans les sons de sa lyre,
N’avez-vous point assez de bruit ?

III



Laissez-le dans son ombre où descend la lumière. —
Savez-vous qu’une Muse, épurant sa poussière,
Y charme en secret ses ennuis ?
Et que, laissant pour lui les éternelles fêtes,
La colombe du Christ et l’aigle des Prophètes
Souvent y visitent ses nuits ?

Sa veille redoutable, en ses visions saintes,
Voit les soleils naissants et les sphères éteintes
Passer en foule au fond du ciel ;
Et, suivant dans l’espace un chœur brûlant d’archanges,
Cherche, aux mondes lointains, quelles formes étranges
Y revêt l’Être universel.

Savez-vous que ses yeux ont des regards de flamme ?
Savez-vous que le voile, étendu sur son âme,
Ne se lève jamais en vain ?
De lumière dorée et de flammes rougie,
Son aile, en un instant, de l’infernale orgie
Peut monter au banquet divin.

Laissez donc loin de vous, ô mortels téméraires,
Celui que le Seigneur marqua, parmi ses frères,
De ce signe funeste et beau,
Et dont l’œil entrevoit plus de mystères sombres
Que les morts effrayés n’en lisent, dans les ombres,
Sous la pierre de leur tombeau !