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LA FILLE D’O-TAÏTI.


« Oh ! j’étais belle alors ; mais les pleurs m’ont flétrie.
Reste, ô jeune étranger ! ne me dis pas adieu.
Ici, nous parlerons de ta mère chérie ;
Tu sais que je me plais aux chants de ta patrie,
Comme aux louanges de ton Dieu.

« Tu rempliras mes jours ; à toi je m’abandonne.
Que t’ai-je fait pour fuir ? Demeure sous nos cieux.
Je guérirai tes maux, je serai douce et bonne,
Et je t’appellerai du nom que l’on te donne
Dans le pays de tes aïeux.

« Je serai, si tu veux, ton esclave fidèle,
Pourvu que ton regard brille à mes yeux ravis.
Reste, ô jeune étranger ! reste, et je serai belle.
Mais tu n’aimes qu’un temps, comme notre hirondelle.
Moi, je t’aime comme je vis.

« Hélas ! tu veux partir. — Aux monts qui t’ont vu naître,
Sans doute quelque vierge espère ton retour.
Eh bien ! daigne avec toi m’emmener, ô mon maître !
Je lui serai soumise, et l’aimerai peut-être,
Si ta joie est dans son amour !

« Loin de mes vieux parents, qu’un tendre orgueil enivre,
Du bois où dans tes bras j’accourus sans effroi,
Loin des fleurs, des palmiers, je ne pourrai plus vivre.
Je mourrais seule ici. Va, laisse-moi te suivre :
Je mourrai du moins près de toi.

« Si l’humble bananier accueillit ta venue,
Si tu m’aimas jamais, ne me repousse pas.
Ne t’en va pas sans moi dans ton île inconnue,
De peur que ma jeune âme, errante dans la nue,
N’aille seule suivre tes pas ! »