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COLÈRE DE LA BÊTE.

Ce que l’aïeul a fait, l’enfant doit le refaire ;
Voilà leur songe : hiver, glace, plomb, marbre, orgueil,
Exagération lugubre du cercueil.
Derrière ces docteurs funèbres rien ne reste
Que le passé jetant sa figure funeste
Sur le réel, le jour, le travail, la moisson ;
Tombe démesurée emplissant l’horizon.
Rien de sain, rien de fort ; des larves dans la brume ;
Rien de vivant ; pour loi de progrès la coutume ;
L’enfant pâle en naissant ; pour verbe un testament ;
Les cœurs morts ; le nocturne et morne étouffement
Des jeunes nations par les anciens empires ;
Les fils spectres râlant sous les pères vampires.
Ces deux systèmes vains sont hors de la raison
Et de la vérité, chacun à sa façon ;
L’un a le froc, et l’autre a la manche mahoître ;
L’un refait le donjon, l’autre refait le cloître ;
Étranges en ceci que d’un point opposé
Ils viennent l’un et l’autre aboutir au Passé ;
Et leur choc apparent est au fond la rencontre
Du rêve avec le dogme et Pour avec Contre.
L’homme flotte de l’un à l’autre, de cela
À ceci, de Babeuf il tombe en Loyola,
De Penn en Hildebrand et de Knox en de Maistre ;
Sous ses deux poings fermés le Passé le séquestre,
Et la Théocratie, au regard de bûcher,
L’ayant pris une fois, ne veut plus le lâcher ;
L’ombre empêche le jour et l’œil de se rejoindre
Et jette la nuée au rayon qui veut poindre ;
Quand viendra l’aube ? Hélas ! la mauvaise saison
Est longue pour le vrai, le droit et la raison ;
Le soleil est si lent qu’on peut douter qu’il vienne ;
L’horrible idolâtrie antédiluvienne,
Sombre, est le seul abri que l’homme ait sur le front ;
L’esprit humain, captif sous ce hideux plafond,