Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome X.djvu/182

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Et vous êtes sans dot comme la fleur des champs.
Cela n’amuse pas les gens qui sont méchants
De voir que je vous prends pour femme. Ça les fâche.
Vous n’étiez qu’une pauvre ouvrière à la tâche,
Seule, et dont les parents sont morts sur des grabats,
Gagnant six sous par jour à ravauder des bas.
Vous allez devenir bourgeoise, et cette chambre
Où vous gelez, pas vrai, dès le mois de novembre,
Vous l’allez changer contre un bon logis, ma foi,
Où vous serez chez vous bien qu’en étant chez moi,
Et d’où vous pourrez voir la mare avec les vignes,
Et des canards si gros qu’on les prend pour des cygnes !
Ah ! les commères font du train ! Moi, bon luron,
Tout ce tas d’oiseaux noirs qui bat de l’aileron,
Parce qu’elles voudraient être ce que vous êtes,
Me fait rire. Piaillez, mesdames les chouettes !
Quand demain, bras dessus dessous, nous passerons,
Cela fera sortir du trou leurs gros yeux ronds.
Ça sera farce. Et vous, vous prendrez un air crâne,
Vous direz : Ma maison, mon champ, mon pré, mon âne.
Et puis du cidre ! et puis du pain, plein le buffet !
Moi, j’ai de l’amitié pour vous. C’est ce qui fait
Que j’épouse. Sur vous, du reste, rien à dire.
Vous n’avez qu’un défaut, c’est que vous savez lire.
Moi pas. Ah ! par exemple, il faudra travailler.
Étant maîtresse, on est servante. S’éveiller
Au chant du coq, couper le seigle ou la fougère,
Être bonne faucheuse et bonne ménagère,
Manier gentiment la fourche à tour de bras,
Laver les murs, laver les lits, laver les draps,
Donner à boire aux gars ayant au dos leurs pioches,
Blanchir l’âtre, écumer le pot, moucher les mioches,
Porter, si le chemin est long et raboteux,
Ses souliers à la main, les pieds s’usant moins qu’eux,
Et vivre ainsi pieds nus et riche, heureuse en somme
D’être une brave femme et d’avoir un brave homme.
Nos bans sont publiés. Je vous ai fait cadeau