Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome X.djvu/234

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ZABETH.

Monseigneur, vous m’avez de vos bienfaits comblée.
Une pauvre âme fauve aux bois obscurs mêlée,
C’était moi. Je vivais dans des lieux inconnus,
Misérable, et j’étais une fille pieds nus ;
On m’avait par pitié fait lire une grammaire ;
Comme je n’avais plus mon père ni ma mère,
Et que je travaillais beaucoup pour gagner peu,
J’étais parfois sans pain, j’étais souvent sans feu,
Et je n’avais pas même un miroir. Un jour, sire,
Vous vîntes. Vous m’avez, duc, avec un sourire,
Prise en une cabane et mise en un palais.
Tout à coup j’eus des gens, des femmes, des valets,
Je vis vers moi monter, avec un bruit de joie,
Moi, fille de la bure, un flot d’or et de soie,
Un océan d’azur, de perles, de saphirs ;
Et j’eus à mon service avril et les zéphirs
Et l’aurore, et l’éden, avec tout ce qui tente
Et charme, et je devins une femme éclatante.
Aujourd’hui, vous m’avez dorée en me touchant.
Loge à la comédie et carrosse à Longchamp,
J’ai tout, et, comme au fond du ciel noir, dans les boucles
De mes cheveux on voit luire des escarboucles ;
Je suis superbe, grâce à vous ; je resplendis,
Je brille, je suis riche. —

Je brille, je suis riche. — Elle se lève.

Je brille, je suis riche. — Eh bien, je vous maudis !

GALLUS.

Tiens, ça vous va très bien d’avoir l’air en colère.

À part.

Que veut dire ceci ?

ZABETH.

Que veut dire ceci ? L’âme en tombant s’éclaire.
Ah oui, contre la faim, le froid, vous l’avez dit,
Contre tout ce qui presse, étreint, froisse, engourdit