Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome X.djvu/311

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Se sentent un amour mystérieux et fier
Pour l’exil, nuit sinistre, et la mort, crépuscule.

Je suis de ceux sur qui le char roule effrayant ;
L’épreuve me flagelle et le devoir me broie ;
Je ne vois pas pourquoi je serais triste, ayant
Ce lugubre bonheur et cette sombre joie.

D’autres, meilleurs que moi, dans le deuil et l’affront
Expirèrent ; ils sont dans la lumière pure.
Gloire à ces combattants du Golgotha ! leur front
Est d’autant plus serein que l’épine est plus dure.

Ils furent grands. Ils ont souffert, ils ont aimé.
Leur linceul laisse voir leur clarté sous ses voiles ;
Et le rude chemin du martyre est semé
De leurs gouttes de sang qu’on prend pour des étoiles.



III


Socrate est un voyant ; je ne suis qu’un témoin.
Je vais. J’ai laissé tout aux mains du sort rapace,
Et j’entends mes amis d’autrefois rire au loin
Pendant qu’à l’horizon, seul et pensif, je passe.

Ils disent, me voyant paraître tout à coup :
— Qu’est-ce donc que cette ombre au loin sur cette grève ?
Regardez donc là-bas. Cela reste debout.
Est-ce un homme qui marche ? est-ce un spectre qui rêve ?

C’est l’homme et c’est le spectre ! Ô mes anciens amis,
C’est un songeur tourné vers les profondeurs calmes,
Qui, devant le tombeau priant pour être admis,
Rêve sous la nuée où frissonnent les palmes.

Sachez, amis de l’âge où l’on se comprenait,
Que, si je vous parlais, ce serait de vous-même.