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II

LES CARIATIDES.




Puissant Germain Pilon, toi qui, rude ouvrier,
Entendis la douleur dans les gouffres crier,
Qui sentis l’art divin protester et combattre,
Toi qui, sous les héros et sous les Henri quatre,
Dédaignant Saint-Germain, Chambord et l’Œil-de-bœuf,
Groupas les mascarons tragiques du Pont-Neuf,
Colossal pétrisseur des formes ténébreuses,
Toi qui savais qu’ouvrant ses gueules douloureuses,
La demi-brute aboie après les demi-dieux,
Et que tout le dédain de l’abîme odieux,
Tout le deuil de l’enfer et du bagne grimace
Sur le visage informe et profond de la masse,
Ô dur géant, tandis que les autres sculpteurs,
Épris du bas-relief superbe des hauteurs,
Ciselaient le fronton de la toute-puissance ;
Tandis que sur le socle où le prêtre l’encense,
Comme un olympien hautain et gracieux,
Écoutant la fanfare idéale des cieux
Qu’accompagnent les vents, mystérieux orchestre,
Ils dressaient dans l’azur César, fantôme équestre ;
Tandis qu’ils prosternaient sous Tibère vieillard
La flatterie infâme et splendide de l’art,
Et qu’ils faisaient lécher Néron ou Louis onze
Par les langues de feu des fournaises du bronze,
Et que, prostituant le ciseau souverain,