Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome X.djvu/392

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je suis pourpre, je suis glaive, je suis flambeau !
Tu fis, dans le brouillard livide qui s’écroule,
Ramper le gigantesque anonyme, la foule.
Sous les jeux et les ris, sous les molles amours,
Sous Valois, sous Bourbon, sous Condé, sous Nemours,
Sous la tendre Chevreuse et la blonde d’Humière,
Sous toute la beauté dans toute la lumière,
Sous l’olympe royal, hautain, splendide à voir,
Tu sculptas le supplice inouï du bloc noir,
L’angoisse de la masse informe, et le calvaire
Du manant redoutable et du granit sévère.
Les puissants rayonnaient, faisant en liberté
Le partage insolent de la prospérité,
Désaltérant leur soif toujours inassouvie,
Prenant tout le bonheur, prenant toute la vie ;
Vénus regardait Mars avec ses plus doux yeux ;
Les fiers drapeaux faisaient de grands frissons joyeux ;
Les rois étaient armés, les femmes étaient nues ;
Les chasses s’enfuyaient au fond des avenues ;
Tout était le palais, le banquet, le gala ;
Toi, tu fis, en regard de tout ce Louvre-là,
Brusquement, aux lueurs de la torche qui brille,
Du grand cachot Misère apparaître la grille
Et les faces qu’on voit à travers ses barreaux !
Ô prostestation terrible ! les héros,
Les gagneurs de bataille et les dieux de la terre,
Des hauts arcs de triomphe habitant l’acrotère,
Vainqueurs, cuirassés d’or, vêtus de diamant,
Du genre humain pensif sombre éblouissement,
Éclatants, radieux, vaillants, criant Montjoie,
Résumaient le miracle effrayant de la joie,
De l’azur sans nuage et sans fond, du soleil ;
Toi, songeur, tu voulus que là, sous leur orteil,
Tout un monde aux rictus sans fin, aux yeux sans nombre,
Effroyable, exprimât le prodige de l’ombre !
Ton art, que jusqu’aux fronts réprouvés tu courbas,
Sous les monstres d’en haut mit les monstres d’en bas,