Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome XII.djvu/63

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Quiconque t'osera regarder fixement,
Convention, cratère, Etna, gouffre fumant,
Quiconque plongera la fourche dans ta braise,
Quiconque sondera ce puits: Quatrevingt-treize,
Sentira se cabrer et s'enfuir son esprit.
Quand Moïse vit Dieu, le vertige le prit;
Et moi, devant l'histoire aux horizons sans nombre,
Je tremble, et j'ai le même éblouissement sombre,
Car c'est voir Dieu que voir les grandes lois du sort.
Non, le glaive, la mort répondant à la mort,
Non, ce n'est pas la fin. Jette plus bas la sonde,
Mon esprit. Ce serait l'étonnement du monde
Et la déception des hommes qu'un progrès
N'apparût qu'en laissant aux justes des regrets,
Que l'ombre attristât l'aube à se lever si lente,
Et que, pour le toucher avec sa main sanglante
Le temps de lui céder la place et le chemin,
Toujours l'affreux hier ensanglantât demain!
Non, ce n'est pas la fin. Non, il n'est pas possible,
Dieu, que toute ta loi soit de changer de cible,
Et de faire passer le meurtre et le forfait
Des mains des rois aux mains du peuple stupéfait.
Le peuple ne veut pas de ce morne héritage 20.
 
Que serait donc l'effort de l'homme si le sage
N'avait à constater qu'un résultat si vain,
Le choc du droit humain contre le droit divin!
Et s'il n'apercevait que cette lueur trouble
Quand il écoute au fond de l'ombre la voix double,
Le passé, l'avenir, la matière, l'esprit,
La voix du peuple Enfer, la voix du peuple Christ!

C'est vrai, l'histoire est sombre. Ô rois! hommes tragiques!
Démences du pouvoir sans limites! logiques