Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Poésie, tome XIII.djvu/60

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Les proscrits sont des gens qui content leurs affaires
Aux vagues dans l'orage et dans la nuit aux sphères;
Nous ouvrons nos coeurs fiers et forts, quoique mouvants,
A ces premiers venus farouches, tous les vents;
Et l'on finit par prendre une altière habitude
De tutoiement avec la sombre solitude.
De là l'apaisement. O vastes cieux vainqueurs!
L'autan passe, arrachant l'écume de nos coeurs;
Et quand sur notre haine et sur notre colère
S'est d'en haut répandu l'immense bruit polaire,
Quand la foudre nous a regardés dans les yeux,
Que reste-t-il d'un homme honnête et furieux?
Un sage. On sonde mieux le mystère où nous sommes
Devant ces grands flots noirs, moins troubles que les hommes;
On sent qu'en ce chaos un monde est à l'essai;
On confronte, attentif, le faux gouffre et le vrai,
La trahison dé l'homme et l'embûche de l'onde;
On contemple les plis de l'eau rauque et profonde,
On s'ouvre à la candeur comme eux à l'alcyon,
Et l'on devient pensif dans la proportion
Du prodige, et l'on sent que le courroux s'efface
Sous ce flot calme au fond et fauve à la surface.
On croit voir dans son âme obscure le lever
D'un astre; et c'est cela qui vient de m'arriver.

J'ai vu tant de néants, tant d'hommes et de choses,
Tant d'immobilités, tant de métamorphoses,
Que je suis las. Après tous ces chiens, tous ces loups,
Dupin, Montalembert, Veuillot, Proudhon, Falloux,
Après l'oison qui glousse, après le chat qui grince,
Après ce reître, après ce juge, après ce prince,
Après ces nains, ces fous, ces gueux, ces intrigants,
J'ai le goût des éclairs, j'aime les ouragans,
J'entre dans cette énorme et formidable fête,
L'onde, et je me repose, ami, dans la tempête.

26 août 1852.

XXVI Ô doux êtres!