Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/103

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bords profondément dentelés annoncent les bons et loyaux services. Il n’a d’autre arme qu’un long bâton dont il aide sa marche inégale et précipitée.

Si la nuit empêche le lecteur de distinguer les traits des deux voyageurs, il les reconnaîtra peut-être à la conversation que l’un d’eux entame après une heure de route silencieuse et, par conséquent, ennuyeuse.

— Maître ! mon jeune maître ! nous sommes au point d’où l’on aperçoit à la fois la tour de Vygla et les clochers de Drontheim. Devant nous, à l’horizon, cette masse noire, c’est la tour ; derrière nous, voici la cathédrale, dont les arcs-boutants, plus sombres encore que le ciel, se dessinent comme les côtes de la carcasse d’un mammouth.

— Vygla est-il loin de Skongen ? demanda l’autre piéton.

— Nous avons l’Ordals à traverser, seigneur ; nous ne serons pas à Skongen avant trois heures du matin.

— Quelle est l’heure qui sonne en ce moment ?

— Juste Dieu, maître ! vous me faites trembler. Oui, c’est la cloche de Drontheim, dont le vent nous apporte les sons. Cela annonce l’orage. Le souffle du nord-ouest amène les nuages.

— Les étoiles, en effet, ont toutes disparu derrière nous.

— Doublons le pas, mon noble seigneur, de grâce. L’orage arrive, et peut-être s’est-on déjà aperçu à la ville de la mutilation du cadavre de Gill et de ma fuite. Doublons le pas.

— Volontiers. Vieillard, votre fardeau paraît lourd ; cédez-le-moi, je suis jeune et plus vigoureux que vous.

— Non, en vérité, noble maître ; ce n’est point à l’aigle à porter l’écaille de la tortue. Je suis trop indigne que vous vous chargiez de ma besace.

— Mais, vieillard, si elle vous fatigue ? Elle paraît pesante. Que contient-elle donc ? Tout à l’heure vous avez bronché, cela a résonné comme du fer.

Le vieillard s’écarta brusquement du jeune homme.

— Cela a résonné, maître ! oh non ! vous vous êtes trompé. Elle ne contient rien… que des vivres, des habits. Non, elle ne me fatigue pas, seigneur.

La proposition bienveillante du jeune homme paraissait avoir causé à son vieux compagnon un effroi qu’il s’efforçait de dissimuler.

— Eh bien, répondit le jeune homme sans s’en apercevoir, si ce fardeau ne vous fatigue pas, gardez-le.

Le vieillard, tranquillisé, se hâta néanmoins de changer la conversation.

— Il est triste de suivre, la nuit, en fugitifs, une route qu’il serait si agréable, seigneur, de parcourir le jour en observateurs. On trouve sur les