Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/120

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— Un peu, seigneur… — Mais, dit-il enfin, je ne sais pas ce nom, je vous jure.

— Il ne le sait pas ? dit la voix redoutée de l’ermite. Il a tort d’en faire serment. Cet homme se nomme Benignus Spiagudry.

— Moi ! moi ! grand Dieu ! s’écria le vieillard avec terreur.

Le bourreau éclata de rire.

— Et qui vous dit que c’est vous ? c’est de ce payen de concierge que nous parlons. En vérité, ce pédagogue s’effraie de rien. Que serait-ce donc si ses grimaces si drôles avaient une cause sérieuse ? Ce vieux fou serait amusant à pendre. — Ainsi, vénérable docteur, poursuivit le bourreau que les terreurs de Spiagudry égayaient, vous ne connaissez pas ce Benignus Spiagudry ?

— Non, maître, dit le concierge un peu rassuré par son incognito, je ne le connais pas, je vous assure. Et puisqu’il a le malheur de vous déplaire, je serais, maître, bien fâché, vraiment, de connaître cet homme.

— Et vous, seigneur ermite, reprit Orugix, vous paraissez le connaître ?

— Oui, vraiment, répondit l’ermite. C’est un homme grand, vieux, sec, chauve…

Spiagudry, justement alarmé de cette prosopographie, raffermit en hâte sa perruque.

— Il a, continua l’ermite, les mains longues comme celles d’un voleur qui n’a pas rencontré de voyageur depuis huit jours, le dos courbé…

Spiagudry se redressa de son mieux.

— Du reste, on pourrait le prendre pour un des cadavres qu’il garde, s’il n’avait les yeux aussi perçants.

Spiagudry porta la main à son emplâtre protecteur.

— Merci, père, dit le bourreau à l’ermite ; en quelque lieu que je le trouve, je reconnaîtrai maintenant le vieux juif.

Spiagudry, qui était très bon chrétien, révolté de cette intolérable injure, ne put réprimer une exclamation.

— Juif, maître !

Puis il s’arrêta tout court, tremblant d’en avoir trop dit.

— Eh bien, juif ou payen, qu’importe, s’il a des relations avec le diable, comme on le dit.

— Je le croirais volontiers, reprit l’ermite avec un sourire sardonique que son capuchon ne cachait pas entièrement, s’il n’était pas si poltron. Mais comment pourrait-il pactiser avec Satan ? il est aussi lâche que méchant. Quand la peur le prend, il ne se connaît plus.

L’ermite parlait lentement, comme s’il eût composé sa voix ; et la lenteur même de ses paroles leur donnait une expression singulière.