Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/164

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

XXI

Il semble que tout prenne une voix pour l’accuser de son crime.
Caïn, tragédie.


D’où vient cette frayeur qui trouble les jours d’une prospérité coupable ?… Pourquoi y a-t-il une voix dans le sang, une parole dans la pierre ?…
Chateaubriand, Génie du Christianisme.



— Oui, seigneur comte, c’est aujourd’hui même, dans la ruine d’Arbar, que nous pourrons le rencontrer. Une foule de circonstances me font croire à la vérité de ce renseignement précieux, que j’ai recueilli hier soir par hasard, comme je vous l’ai conté, dans le village d’Oëlmœ.

— Sommes-nous loin de cette ruine d’Arbar ?

— Mais c’est auprès du lac de Smiasen. Le guide m’a assuré que nous y serions avant le milieu du jour.

Ainsi s’entretenaient deux personnages à cheval et enveloppés de manteaux bruns, lesquels suivaient de grand matin une de ces mille routes sinueuses et étroites qui traversent en tous sens la forêt située entre les lacs de Smiasen et de Sparbo. Un guide des montagnes, muni de sa trompe et armé de sa hache, les précédait sur son petit cheval gris, et derrière eux marchaient quatre autres cavaliers armés jusqu’aux dents, vers lesquels ces deux personnages tournaient de temps en temps la tête, comme s’ils craignaient d’en être entendus.

— Si ce brigand islandais se trouve en effet dans la ruine d’Arbar, disait celui des deux interlocuteurs dont la monture se tenait respectueusement un peu en arrière de l’autre, c’est un grand point de gagné, car le difficile était de rencontrer cet être insaisissable.

— Vous croyez, Musdœmon ? Et s’il allait rejeter nos offres ?

— Impossible, votre grâce ! de l’or et l’impunité, quel brigand résisterait à cela ?

— Mais vous savez que ce brigand n’est pas un scélérat ordinaire. Ne le jugez donc pas à votre mesure ; s’il refusait, comment rempliriez-vous la promesse que vous avez faite dans la nuit d’avant-hier aux trois chefs de l’insurrection ?

— Eh bien, noble comte, dans ce cas, que je regarde comme impos-