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Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/178

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L’infortuné essaya d’articuler quelques paroles.

— Thoctree !… Seigneur… Mon seigneur maître… j’y allais…

— Tu allais à Walderhog, répondit l’autre d’une voix de tonnerre.

Spiagudry terrifié ramassa toutes ses forces pour faire un signe de tête négatif.

— Tu me conduisais un ennemi ; merci ! ce sera un vivant de moins. Ne crains rien, fidèle guide, il te suivra.

Le malheureux gardien voulut pousser un cri et put à peine faire entendre un murmure vague et confus.

— Pourquoi t’effraies-tu de ma présence ? Tu me cherchais. — Écoute, ne crie pas, ou tu es mort.

Le petit homme agita sa hache de pierre au-dessus de la tête du concierge ; il poursuivit, d’une voix qui sortait de sa poitrine comme le bruit d’un torrent sort d’une caverne :

— Tu m’as trahi.

— Non, votre grâce ; non, excellence…, dit enfin Benignus pouvant à peine articuler ces paroles suppliantes.

L’autre fit entendre comme un rugissement sourd.

— Ah ! tu voudrais me tromper encore ! Ne l’espère plus. — Écoute, j’étais sur le toit du Spladgest quand tu as scellé ton pacte avec cet insensé ; c’est moi dont tu as deux fois entendu la voix. C’est moi que tu as encore entendu dans l’orage sur la route ; c’est moi que tu as retrouvé dans la tour de Vygla ; c’est moi qui t’ai dit : Au revoir !

Le concierge épouvanté jeta un regard égaré autour de lui, comme pour appeler du secours. Le petit homme continua :

— Je ne voulais pas laisser échapper ces soldats qui te poursuivaient. Ils étaient du régiment de Munckholm. — Pour toi, je ne pouvais te perdre. — Spiagudry, c’est moi que tu as revu au village d’Oëlmœ sous ce feutre de mineur ; c’est moi dont tu as entendu les pas et la voix, dont tu as reconnu les yeux en montant à ces ruines ; c’est moi !

Hélas ! l’infortuné n’en était que trop convaincu ; il se roula à terre, aux pieds de son formidable juge, en s’écriant d’une voix déchirante et étouffée : — Grâce !

Le petit homme, les bras toujours croisés, attachait sur lui un regard de sang, plus ardent que la flamme du foyer.

— Demande ton salut à cette cassette dont tu l’attends, dit-il ironiquement.

— Grâce, seigneur ! Grâce ! répéta le mourant Spiagudry.

— Je t’avais recommandé d’être fidèle et muet, tu n’as pu être fidèle ; à l’avenir je te proteste que tu seras muet.