Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/207

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à la défensive, il la faisait tourner dans sa main avec une telle rapidité, que le cercle de rotation le couvrait comme un bouclier. Une multitude d’étincelles jaillissaient avec un bruit clair de la pointe des épées, lorsqu’elles étaient heurtées par le tranchant de la hache ; mais aucune lame ne touchait son corps. Toutefois, fatigué par son précédent combat avec le loup, il perdait insensiblement du terrain, et il se vit bientôt acculé à la porte ouverte sur l’abîme.

— Mes amis ! cria le comte, du courage ! jetons le monstre dans ce précipice.

— Avant que j’y tombe, les étoiles y tomberont, répliqua le brigand.

Cependant les agresseurs redoublèrent d’ardeur et d’audace en voyant le petit homme forcé de descendre une marche de l’escalier suspendu au-dessus du gouffre.

— Bien, poussons ! reprit le grand-chancelier ; il faudra bien qu’il tombe ; encore un effort ! — Misérable ! tu as commis ton dernier crime. — Courage, compagnons !

Tandis que de sa main droite il continuait les terribles évolutions de sa hache, le brigand, sans répondre, prit de la gauche une trompe de corne suspendue à sa ceinture, et, la portant à ses lèvres, lui fit rendre à plusieurs reprises un son rauque et prolongé, auquel répondit soudain un rugissement parti de l’abîme.

Quelques instants après, au moment où le comte et ses satellites, serrant toujours le petit homme de près, s’applaudissaient de lui avoir fait descendre la seconde marche, la tête énorme d’un ours blanc parut au bout rompu de l’escalier. Frappés d’un étonnement mêlé d’effroi, les assaillants reculèrent.

L’ours acheva de gravir l’escalier lourdement en leur présentant sa gueule sanglante et ses dents acérées.

— Merci, mon brave Friend ! cria le brigand.

Et profitant de la surprise des agresseurs, il se jeta sur le dos de son ours qui se mit à descendre à reculons, montrant toujours sa tête menaçante aux ennemis de son maître.

Bientôt, revenus de leur première stupéfaction, ils purent voir l’ours, emportant le brigand hors de leur atteinte, descendre dans l’abîme, ainsi que sans doute il en était monté, en s’accrochant à de vieux troncs d’arbres et à des saillies de rochers. Ils voulurent faire rouler des quartiers de pierre sur lui ; mais avant qu’ils eussent soulevé du sol une de ces vieilles masses de granit qui y dormaient depuis si longtemps, le brigand et son étrange monture avaient disparu dans une caverne.