Aller au contenu

Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/218

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mière mouette à laquelle j’ai pu dire bonjour de près aujourd’hui. Tenez, amis, Dieu vous maintienne en paix ! c’est pour ce méchant coq de bruyère que le premier chasseur du Drontheimhus a couru les clairières jusqu’à cette heure et par ce temps.

En parlant ainsi, il tira de sa carnassière et déposa sur la table une gelinotte blanche, en affirmant que cette bête maigre n’était pas digne d’un coup de mousquet.

— Mais, ajouta-t-il entre ses dents, fidèle arquebuse de Kennybol, tu chasseras bientôt de plus gros gibier. Si tu n’abats plus des robes de chamois ou d’élan, tu auras à percer des casaques vertes et des justaucorps rouges.

Ces mots, à demi entendus, frappèrent la curieuse Maase.

— Hein ! demanda-t-elle, que dites-vous donc là, mon bon frère ?

— Je dis qu’il y a toujours un farfadet qui danse sous la langue des femmes.

— Tu as raison, frère Kennybol, s’écria le pêcheur. Ces filles d’Ève sont toutes curieuses comme leur mère. — Ne parlais-tu pas de casaques vertes ?

— Frère Braal, répliqua le chasseur d’un air d’humeur, je ne confie mes secrets qu’à mon mousquet, parce que je suis sûr qu’il ne les répétera pas.

— On parle dans le village, poursuivit intrépidement le pêcheur, d’une révolte des mineurs. Frère, saurais-tu quelque chose de cela ?

Le montagnard reprit son bonnet, et l’enfonça sur ses yeux en jetant un regard oblique sur l’étranger ; puis il se baissa vers le pêcheur, et dit d’une voix brève et basse :

— Silence !

Celui-ci secoua la tête à plusieurs reprises.

— Frère Kennybol, le poisson a beau être muet, il n’en tombe pas moins dans la nasse.

Il se fit un moment de silence. Les deux frères se regardaient d’un air expressif ; les enfants tiraient les plumes de la gelinotte déposée sur la table ; la bonne femme écoutait ce qu’on ne disait pas ; et Ordener observait.

— Si vous faites maigre chère aujourd’hui, dit tout à coup le chasseur, cherchant visiblement à changer de conversation, il n’en sera pas de même demain. Frère Braal, tu peux pêcher le roi des poissons, je te promets de l’huile d’ours pour l’assaisonner.

— De l’huile d’ours ! s’écria Maase. Est-ce qu’on a vu un ours dans les environs ? — Patrick, Regner, mes enfants, je vous défends de sortir de cette cabane. — Un ours !