Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/221

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La femme l’arrêta.

— Mon seigneur et mari, ne prononcez pas ce nom, il porte malheur.

— La demeure de qui ? demanda Ordener.

— D’un Belzébuth incarné, dit Kennybol.

— En vérité, mes braves hôtes, je ne sais ce que vous voulez dire. On m’avait bien appris que Walderhog était habité par Han d’Islande.

Un triple cri d’effroi s’éleva dans la chaumière.

— Eh bien ! — Vous le saviez ! — C’est ce démon !

La femme baissa sa coiffe de bure en attestant tous les saints que ce n’était pas elle qui avait prononcé ce nom.

Quand le pêcheur fut un peu revenu de sa stupéfaction, il regarda fixement Ordener, comme s’il y avait en ce jeune homme quelque chose qu’il ne pouvait comprendre.

— Je croyais, seigneur voyageur, quand j’aurais dû vivre une vie encore plus longue que celle de mon père, qui est mort âgé de cent vingt ans, n’avoir jamais à indiquer le chemin de Walderhog à une créature humaine douée de sa raison et croyant en Dieu.

— Sans doute, s’écria Maase, mais sa courtoisie n’ira pas à cette grotte maudite ; car, pour y mettre le pied, il faut vouloir faire un pacte avec le diable !

— J’irai, mes bons hôtes, et le plus grand service que vous pourrez me rendre sera de m’indiquer le plus court chemin.

— Le plus court pour aller où vous voulez aller, dit le pêcheur, c’est de vous précipiter du haut du rocher le plus voisin dans le torrent le plus proche.

— Est-ce donc arriver au même but, demanda Ordener d’une voix tranquille, que de préférer une mort stérile à un danger utile ?

Braal secoua la tête, tandis que son frère attachait sur le jeune aventurier un regard scrutateur.

— Je comprends, s’écria tout à coup le pêcheur, vous voulez gagner les mille écus royaux que le haut syndic promet pour la tête de ce démon d’Islande.

Ordener sourit.

— Jeune seigneur, continua le pêcheur avec émotion, croyez-moi, renoncez à ce projet. Je suis pauvre et vieux, et je ne donnerais pas ce qui me reste de vie pour vos mille écus royaux, ne me restât-il qu’un jour.

L’œil suppliant et compatissant de la femme épiait l’effet que produirait sur le jeune seigneur la prière de son mari. Ordener se hâta de répondre :

— C’est un intérêt plus grand qui me fait chercher ce brigand que vous appelez un démon ; c’est pour d’autres que pour moi…