Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/269

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toi, frère Guldon. C’est un rayon de la lune qui tombe sur un pic de glace.

Aucun sujet d’alarme ne se présenta plus autour d’eux, et les diverses bandes, paisiblement déroulées dans les sinuosités du défilé, oublièrent insensiblement tout ce que la position du lieu présentait de danger.

Après deux heures de marche souvent pénible, au milieu des troncs d’arbres et des quartiers de granit dont le chemin était obstrué, l’avant-garde entra dans le montueux bouquet de sapins qui termine la gorge du Pilier-Noir, et au-dessus duquel pendent de hauts rochers noirs et moussus.

Guldon Stayper se rapprocha de Kennybol, affirmant qu’il se félicitait d’être enfin sur le point de sortir de ce maudit coupe-gorge, et qu’il fallait rendre grâce à saint Sylvestre de ce que le Pilier-Noir ne leur avait pas été fatal.

Kennybol se mit à rire, jurant qu’il n’avait jamais partagé ces terreurs de vieilles femmes ; car pour la plupart des hommes, quand le péril est passé, il n’a point existé, et l’on cherche alors à prouver, par l’incrédulité que l’on montre, le courage qu’on n’aurait peut-être pas montré.

En ce moment, deux petites lueurs rondes, pareilles à deux charbons ardents, qui se mouvaient dans l’épaisseur du taillis, appelèrent son attention.

— Par le salut de mon âme ! dit-il à voix basse, en secouant le bras de Guldon, voilà, certes, deux yeux de braise qui doivent appartenir au plus beau chatpard qui ait jamais miaulé dans un hallier.

— Tu as raison, répondit le vieux Stayper, et s’il ne marchait pas devant nous, je croirais plutôt que ce sont les yeux maudits du démon d’Isl…

— Chut ! cria Kennybol.

Puis, saisissant sa carabine :

— En vérité, poursuivit-il, il ne sera pas dit qu’une aussi belle pièce aura passé impunément sous les yeux de Kennybol.

Le coup était parti avant que Guldon Stayper, qui s’était jeté sur le bras de l’imprudent chasseur, eût pu l’arrêter. — Ce ne fut pas la plainte aiguë d’un chat sauvage qui répondit à la bruyante détonation de la carabine, ce fut un affreux grondement de tigre, suivi d’un éclat de rire humain, plus affreux encore.

On n’entendit pas le retentissement du coup de feu se prolonger, et mourir d’écho en écho dans les profondeurs des montagnes ; car à peine la lumière de la carabine eut-elle brillé dans la nuit, à peine le bruit fatal de la poudre eut-il éclaté dans le silence, qu’un millier de voix formidables s’élevèrent inattendues sur les monts, dans les gorges, dans les forêts ; qu’un