Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/291

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fants, dont l’aîné jouait avec un chevalet tout sanglant, tandis que le plus petit s’amusait à plumer vivant un petit oiseau qu’il avait pris à sa mère dans le nid même.

— Ce qu’il y a, mes enfants ? — Tue donc cet oiseau, Haspar, il crie comme une mauvaise scie ; et d’ailleurs il ne faut pas être cruel. Tue-le. — Ce qu’il y a ? Rien, peu de chose vraiment, sinon, dame Bechlie, qu’avant huit jours d’ici l’ex-chancelier Schumacker, qui est prisonnier à Munckholm, après avoir vu mon visage de si près à Copenhague, et le fameux brigand d’Islande Han de Klipstadur, me passeront peut-être tous deux à la fois par les mains.

L’œil égaré de la femme rouge prit une expression d’étonnement et de curiosité.

— Schumacker ! Han d’Islande ! comment cela, Nychol ?

— Voilà tout. J’ai rencontré hier matin, sur la route de Skongen, au pont de l’Ordals, tout le régiment des arquebusiers de Munckholm, qui s’en retournait à Drontheim d’un air très victorieux. J’ai questionné un des soldats, qui a daigné me répondre, parce qu’il ignorait sans doute pourquoi ma casaque et ma charrette sont rouges ; j’ai appris que les arquebusiers revenaient des gorges du Pilier-Noir, où ils avaient mis en pièces des bandes de brigands, c’est-à-dire de mineurs insurgés. Or, tu sauras, Bechlie la bohémienne, que ces rebelles se révoltaient pour Schumacker, et étaient commandés par Han d’Islande. Tu sauras que cette levée de boucliers constitue pour Han d’Islande un bon crime d’insurrection contre l’autorité royale, et pour Schumacker un bon crime de haute trahison ; ce qui amène tout naturellement ces deux honorables seigneurs à la potence ou au billot. Ajoute à ces deux superbes exécutions, qui ne peuvent manquer de me rapporter au moins quinze ducats d’or chacune, et de me faire le plus grand honneur dans les deux royaumes, celles, moins importantes, à la vérité, de quelques autres…

— Mais quoi ! interrompit Bechlie, Han d’Islande a donc été pris ?

— Pourquoi interrompez-vous votre seigneur et maître, femme de perdition ? dit le bourreau. Oui, sans doute, ce fameux, cet imprenable Han d’Islande a été pris, avec quelques autres chefs de brigands, ses lieutenants, qui me rapporteront bien aussi chacun douze écus par tête, sans compter la vente des cadavres. Il a été pris, vous dis-je, et je l’ai vu, puisqu’il faut satisfaire entièrement votre curiosité, passer entre les rangs des soldats.

La femme et les enfants se rapprochèrent vivement d’Orugix.

— Quoi ! tu l’as vu, père ? demandèrent les enfants.

— Taisez-vous, enfants. Vous criez comme un coquin qui se dit innocent. Je l’ai vu. C’est une espèce de géant ; il marchait les bras croisés, en-