Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/320

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son regard désolé le désir douloureux de remporter la victoire fatale dont elle devait mourir.

Ordener lui dit :

— Éthel, ne me parle plus de cela. Qu’il ne sorte en ce moment de nos bouches d’autres noms que le tien et le mien.

— Ainsi, reprit-elle, hélas ! hélas ! tu veux donc mourir ?

— Il le faut. J’irai avec joie à l’échafaud pour toi ; j’irais avec horreur à l’autel pour toute autre femme. Ne m’en parle plus ; tu m’affliges et tu m’offenses.

Elle pleurait en murmurant toujours : — Il va mourir, ô Dieu ! et d’une mort infâme !

Le condamné répondit avec un sourire :

— Crois-moi, Éthel, il y a moins de déshonneur dans ma mort que dans la vie telle que tu me la proposes.

En ce moment, son regard, se détachant de son Éthel éplorée, aperçut un vieillard vêtu d’habits ecclésiastiques, qui se tenait debout dans l’ombre, sous la voûte basse de la porte :

— Que voulez-vous ? dit-il brusquement.

— Seigneur, je suis venu avec l’envoyée de la comtesse d’Ahlefeld. Vous ne m’avez point aperçu, et j’attendais en silence que vos yeux tombassent sur moi.

En effet, Ordener n’avait vu que son Éthel, et celle-ci, voyant Ordener, avait oublié son compagnon.

— Je suis, continua le vieillard, le ministre chargé…

— J’entends, dit le jeune homme. Je suis prêt.

Le ministre s’avança vers lui.

— Dieu est prêt aussi à vous recevoir, mon fils.

— Seigneur ministre, reprit Ordener, votre visage ne m’est pas inconnu. Je vous ai vu quelque part.

Le ministre s’inclina.

— Je vous reconnais aussi, mon fils. C’était dans la tour de Vygla. Nous avons tous deux montré ce jour-là combien les paroles humaines ont peu de certitude. Vous m’avez promis la grâce de douze malheureux condamnés, et moi je n’ai point cru en votre promesse, ne pouvant deviner que vous fussiez ce que vous êtes, le fils du vice-roi ; et vous, seigneur, qui comptiez sur votre puissance et sur votre rang, en me donnant cette assurance…

Ordener acheva la pensée qu’Athanase Munder n’osait compléter.

— Je ne puis aujourd’hui obtenir aucune grâce, pas même la mienne ; vous avez raison, seigneur ministre. Je respectais trop peu l’avenir, il m’en a puni, en me montrant sa puissance supérieure à la mienne.