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BUG-JARGAL.

fortifier et de hérisser la plaine de postes militaires. Nous avons perdu, par notre faute, l’occasion de prendre le Cap ; elle ne se représentera pas de longtemps. Du côté de l’est, la route principale est coupée par une rivière ; les blancs, afin d’en défendre le passage, y ont établi une batterie sur des pontons, et ont formé sur chaque bord deux petits camps. Au sud, il y a une grande route qui traverse ce pays montueux appelé le Haut-du-Cap ; ils l’ont couverte de troupes et d’artillerie. La position est également fortifiée du côté de la terre par une bonne palissade, à laquelle tous les habitants ont travaillé, et l’on y a ajouté des chevaux de frise. Le Cap est donc à l’abri de nos armes. Notre embuscade aux gorges de Dompte-Mulâtre a manqué son effet. À tous nos échecs se joint la fièvre de Siam, qui dépeuple le camp de Jean-François. En conséquence, le grand amiral de France[1] pense, et nous partageons son avis, qu’il conviendrait de traiter avec le gouverneur Blanchelande et l’assemblée coloniale. Voici la lettre que nous adressons à l’assemblée à ce sujet : écoute !

« Messieurs les députés,

« De grands malheurs ont affligé cette riche et importante colonie ; nous y avons été enveloppés, et il ne nous reste plus rien à dire pour notre justification. Un jour vous nous rendrez toute la justice que mérite notre position. Nous devons être compris dans l’amnistie générale que le roi Louis XVI a prononcée pour tous indistinctement.

« Sinon, comme le roi d’Espagne est un bon roi, qui nous traite fort bien, et nous témoigne des récompenses, nous continuerons de le servir avec zèle et dévouement.

« Nous voyons par la loi du 28 septembre 1791 que l’assemblée nationale et le roi vous accordent de prononcer définitivement sur l’état des personnes non libres et l’état politique des hommes de couleur. Nous défendrons les décrets de l’assemblée nationale et les vôtres, revêtus des formalités requises, jusqu’à la dernière goutte de notre sang. Il serait même intéressant que vous déclariez, par un arrêté sanctionné de monsieur le général, que votre intention est de vous occuper du sort des esclaves. Sachant qu’ils sont l’objet de votre sollicitude, par leurs chefs, à qui vous feriez parvenir ce travail, ils seraient satisfaits, et l’équilibre rompu se rétablirait en peu de temps.

« Ne comptez pas cependant, messieurs les représentants, que nous consentions à nous armer pour les volontés des assemblées révolutionnaires. Nous sommes sujets de trois rois, le roi de Congo, maître-né de tous les

  1. Nous avons déjà dit que Jean-François prenait ce titre.