Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/533

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
517
BUG-JARGAL.

que ta vie. Il me l’a accordée volontiers ; et maintenant elle est à moi ! Je m’en amuse. Tu vas bientôt suivre cette cascade dans ce gouffre, sois tranquille ; mais je dois te dire auparavant qu’ayant découvert la retraite où ta femme avait été cachée, j’ai inspiré aujourd’hui à Biassou de faire incendier la forêt, cela doit être commencé à présent. Ainsi ta famille est anéantie. Ton oncle a péri par le fer ; tu vas périr par l’eau, ta Marie par le feu !

— Misérable ! misérable ! m’écriai-je ; et je fis un mouvement pour me jeter sur lui.

Il se retourna vers les nègres.

— Allons, attachez-le ! il avance son heure.

Alors les nègres commencèrent à me lier en silence avec des cordes qu’ils avaient apportées. Tout à coup je crus entendre les aboiements lointains d’un chien, je pris ce bruit pour une illusion causée par le mugissement de la cascade. Les nègres achevèrent de m’attacher, et m’approchèrent du gouffre qui devait m’engloutir. Le nain, croisant les bras, me regardait avec une joie triomphante. Je levai les yeux vers la crevasse pour fuir son odieuse vue, et pour découvrir encore le ciel. En ce moment un aboiement plus fort et plus prononcé se fit entendre. La tête énorme de Rask passa par l’ouverture. Je tressaillis. Le nain s’écria : — Allons ! — Les noirs, qui n’avaient pas remarqué les aboiements, se préparèrent à me lancer au milieu de l’abîme.