Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome I.djvu/623

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
607
PRÉFACE

tantes. Ulbach et Debacker seraient sauvés. On ne guillotinerait plus Othello.

Au reste, qu’on ne s’y trompe pas, cette question de la peine de mort mûrit tous les jours. Avant peu, la société entière la résoudra comme nous.

Que les criminalistes les plus entêtés y fassent attention, depuis un siècle la peine de mort va s’amoindrissant. Elle se fait presque douce. Signe de décrépitude. Signe de faiblesse. Signe de mort prochaine. La torture a disparu. La roue a disparu. La potence a disparu. Chose étrange ! la guillotine elle-même est un progrès.

M. Guillotin était un philanthrope.

Oui, l’horrible Thémis dentue et vorace de Farinace et de Vouglans, de Delancre et d’Isaac Loisel, de d’Oppède et de Machault, dépérit. Elle maigrit. Elle se meurt.

Voilà déjà la Grève qui n’en veut plus. La Grève se réhabilite. La vieille buveuse de sang s’est bien conduite en juillet. Elle veut mener désormais meilleure vie et rester digne de sa dernière belle action. Elle qui s’était prostituée depuis trois siècles à tous les échafauds, la pudeur la prend. Elle a honte de son ancien métier. Elle veut perdre son vilain nom. Elle répudie le bourreau. Elle lave son pavé.

À l’heure qu’il est, la peine de mort est déjà hors de Paris. Or, disons-le bien ici, sortir de Paris c’est sortir de la civilisation.

Tous les symptômes sont pour nous. Il semble aussi qu’elle se rebute et qu’elle rechigne, cette hideuse machine, ou plutôt ce monstre fait de bois et de fer qui est à Guillotin ce que Galatée est à Pygmalion. Vues d’un certain côté, les effroyables exécutions que nous avons détaillées plus haut sont d’excellents signes. La guillotine hésite. Elle en est à manquer son coup. Tout le vieil échafaudage de la peine de mort se détraque.

L’infâme machine partira de France, nous y comptons, et, s’il plaît à Dieu, elle partira en boitant, car nous tâcherons de lui porter de rudes coups.

Qu’elle aille demander l’hospitalité ailleurs, à quelque peuple barbare, non à la Turquie, qui se civilise, non aux sauvages, qui ne