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LES MISÉRABLES. — COSETTE.

— Moi, je travaille.

— Toute la journée ?

L’enfant leva ses grands yeux où il y avait une larme qu’on ne voyait pas à cause de la nuit, et répondit doucement :

— Oui, monsieur.

Elle poursuivit après un intervalle de silence :

— Des fois, quand j’ai fini l’ouvrage et qu’on veut bien, je m’amuse aussi.

— Comment t’amuses-tu ?

— Comme je peux. On me laisse. Mais je n’ai pas beaucoup de joujoux. Ponine et Zelma ne veulent pas que je joue avec leurs poupées. Je n’ai qu’un petit sabre en plomb, pas plus long que ça.

L’enfant montrait son petit doigt.

— Et qui ne coupe pas ?

— Si, monsieur, dit l’enfant, ça coupe la salade et les têtes de mouches. Ils atteignirent le village ; Cosette guida l’étranger dans les rues. Ils passèrent devant la boulangerie, mais Cosette ne songea pas au pain qu’elle devait rapporter. L’homme avait cessé de lui faire des questions et gardait maintenant un silence morne. Quand ils eurent laissé l’église derrière eux, l’homme, voyant toutes ces boutiques en plein vent, demanda à Cosette :

— C’est donc la foire ici ?

— Non, monsieur, c’est Noël.

Comme ils approchaient de l’auberge, Cosette lui toucha le bras timidement.

— Monsieur ?

— Quoi, mon enfant ?

— Nous voilà tout près de la maison.

— Eh bien ?

— Voulez-vous me laisser reprendre le seau à présent ?

— Pourquoi ?

— C’est que, si madame voit qu’on me l’a porté, elle me battra.

L’homme lui remit le seau. Un instant après, ils étaient à la porte de la gargote.