Il alla s’asseoir au coin de la cheminée, méditant, les pieds sur les cendres chaudes.
— Ah çà ! reprit la femme, tu n’oublies pas que je flanque Cosette à la porte aujourd’hui ? Ce monstre ! elle me mange le cœur avec sa poupée ! J’aimerais mieux épouser Louis XVIII que de la garder un jour de plus à la maison !
Le Thénardier alluma sa pipe et répondit entre deux bouffées :
— Tu remettras la carte à l’homme.
Puis il sortit.
Il était à peine hors de la salle que le voyageur y entra.
Le Thénardier reparut sur-le-champ derrière lui et demeura immobile dans la porte entre-bâillée, visible seulement pour sa femme.
L’homme jaune portait à la main son bâton et son paquet.
— Levé si tôt ! dit la Thénardier, est-ce que monsieur nous quitte déjà ?
Tout en parlant ainsi, elle tournait d’un air embarrassé la carte dans ses mains et y faisait des plis avec ses ongles. Son visage dur offrait une nuance qui ne lui était pas habituelle, la timidité et le scrupule.
Présenter une pareille note à un homme qui avait si parfaitement l’air d’« un pauvre », cela lui paraissait malaisé.
Le voyageur semblait préoccupé et distrait. Il répondit :
— Oui, madame. Je m’en vais.
— Monsieur, reprit-elle, n’avait donc pas d’affaires à Montfermeil ?
— Non. Je passe par ici. Voilà tout. — Madame, ajouta-t-il, qu’est-ce que je dois. ?
La Thénardier, sans répondre, lui tendit la carte pliée.
L’homme déplia le papier, le regarda, mais son attention était visiblement ailleurs.
— Madame, reprit-il, faites-vous de bonnes affaires dans ce Montfermeil ?
— Comme cela, monsieur, répondit la Thénardier stupéfaite de ne point voir d’autre explosion.
Elle poursuivit d’un accent élégiaque et lamentable :
— Oh ! monsieur, les temps sont bien durs ! et puis nous avons si peu de bourgeois dans nos endroits ! C’est tout petit monde, voyez-vous. Si nous n’avions pas par-ci par-là des voyageurs généreux et riches comme monsieur ! Nous avons tant de charges. Tenez, cette petite nous coûte les yeux de la tête.
— Quelle petite ?
— Eh bien, la petite, vous savez ! Cosette ! l’Alouette, comme on dit dans le pays !