Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IV.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
198
LES MISÉRABLES. — COSETTE.

V

distractions.


Au-dessus de la porte du réfectoire était écrite en grosses lettres noires cette prière qu’on appelait la Patenôtre blanche, et qui avait pour vertu de mener les gens droit en paradis :

« Petite patenôtre blanche, que Dieu fit, que Dieu dit, que Dieu mit en paradis. Au soir, m’allant coucher, je trouvis (sic) trois anges à mon lit couchis, un aux pieds, deux aux chevet, la bonne vierge Marie au milieu, qui me dit que je m’y couchis, que rien ne doutis. Le bon Dieu est mon père, la bonne Vierge est ma mère, les trois apôtres sont mes frères, les trois vierges sont mes sœurs. La chemise où Dieu fut né, mon corps en est enveloppé ; la croix Sainte-Marguerite à ma poitrine est écrite. ; madame la Vierge s’en va sur les champs. Dieu pleurant, rencontrit M. saint Jean. Monsieur saint Jean, d’où venez-vous ? Je viens d’Ave Salus. Vous n’avez pas vu le bon Dieu, si est ? Il est dans l’arbre de la croix, les pieds pendants, les mains clouants, un petit chapeau d’épine blanche sur la tête. Qui la dira trois fois au soir, trois fois au matin, gagnera le paradis à la fin. »

En 1827, cette oraison caractéristique avait disparu du mur sous une triple couche de badigeon. Elle achève à cette heure de s’effacer dans la mémoire de quelques jeunes filles d’alors, vieilles femmes aujourd’hui.

Un grand crucifix accroché au mur complétait la décoration de ce réfectoire, dont la porte unique, nous croyons l’avoir dit, s’ouvrait sur le jardin. Deux tables étroites, côtoyées chacune de deux bancs de bois, faisaient deux longues lignes parallèles d’un bout à l’autre du réfectoire. Les murs étaient blancs, les tables étaient noires ; ces deux couleurs du deuil sont le seul rechange des couvents. Les repas étaient revêches et la nourriture des enfants eux-mêmes sévère. Un seul plat, viande et légumes mêlés, ou poisson salé, tel était le luxe. Ce bref ordinaire, réservé aux pensionnaires seules, était pourtant une exception. Les enfants mangeaient et se taisaient sous le guet de la mère semainière qui, de temps en temps, si une mouche s’avisait de voler et de bourdonner contre la règle, ouvrait et fermait bruyamment un livre de bois. Ce silence était assaisonné de la vie des saints, lue à haute voix dans une petite chaire avec pupitre située au pied du crucifix. La lectrice était une grande élève, de semaine. Il y