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CLÔTURE.

Du reste bien en prit à Jean Valjean de se tenir coi et de ne pas bouger. Javert observa le quartier plus d’un grand mois.

Ce couvent était pour Jean Valjean comme une île entourée de gouffres. Ces quatre murs étaient désormais le monde pour lui. Il y voyait le ciel assez pour être serein et Cosette assez pour être heureux.

Une vie très douce recommença pour lui.

Il habitait avec le vieux Fauchelevent la baraque du fond du jardin. Cette bicoque, bâtie en plâtras, qui existait encore en 1845, était composée, comme on sait, de trois chambres, lesquelles étaient toutes nues et n’avaient que les murailles. La principale avait été cédée, de force, car Jean Valjean avait résisté en vain, par le père Fauchelevent à M. Madeleine. Le mur de cette chambre, outre les deux clous destinés à l’accrochement de la genouillère et de la hotte, avait pour ornement un papier-monnaie royaliste de 93 appliqué à la muraille au-dessus de la cheminée et dont voici le fac-similé exact :

Cet assignat vendéen avait été cloué au mur par le précédent jardinier, ancien chouan qui était mort dans le couvent et que Fauchelevent avait remplacé.

Jean Valjean travaillait tout le jour dans le jardin et y était très utile. Il avait été jadis émondeur et se retrouvait volontiers jardinier. On se rappelle qu’il avait toutes sortes de recettes et de secrets de culture. Il en tira parti. Presque tous les arbres du verger étaient des sauvageons ; il les écussonna et leur fit donner d’excellents fruits.

Cosette avait permission de venir tous les jours passer une heure près de lui. Comme les sœurs étaient tristes et qu’il était bon, l’enfant le comparait et l’adorait. À l’heure fixée elle accourait vers la baraque. Quand elle entrait dans la masure, elle l’emplissait de paradis. Jean Valjean s’épanouissait, et sentait son bonheur s’accroître du bonheur qu’il donnait à Cosette. La joie que nous inspirons a cela de charmant que, loin de s’affaiblir comme tout reflet, elle nous revient plus rayonnante. Aux heures des récréations, Jean Valjean regardait de loin Cosette jouer et courir, et il distinguait son rire du rire des autres.