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CLÔTURE.

Ces êtres vivaient, eux aussi, les cheveux coupés, les yeux baissés, la voix basse, non dans la honte, mais au milieu des railleries du monde, non le dos meurtri par le bâton, mais les épaules déchirées par la discipline. À eux aussi, leur nom parmi les hommes s’était évanoui ; ils n’existaient plus que sous des appellations austères. Ils ne mangeaient jamais de viande et ne buvaient jamais de vin ; ils restaient souvent jusqu’au soir sans nourriture ; ils étaient vêtus, non de vestes rouges, mais de suaires noirs, en laine, pesants l’été, légers l’hiver, sans pouvoir y rien retrancher ni y rien ajouter ; sans même avoir, selon la saison, la ressource du vêtement de toile ou du surtout de laine ; et ils portaient six mois de l’année des chemises de serge qui leur donnaient la fièvre. Ils habitaient, non des salles chauffées seulement dans les froids rigoureux, mais des cellules où l’on n’allumait jamais de feu ; ils couchaient, non sur des matelas épais de deux pouces, mais sur la paille. Enfin on ne leur laissait pas même le sommeil ; toutes les nuits, après une journée de labeur, il fallait, dans l’accablement du premier repos, au moment où l’on s’endormait et où l’on se réchauffait à peine, se réveiller, se lever, et s’en aller prier dans une chapelle glacée et sombre, les deux genoux sur la pierre.

À de certains jours, il fallait que chacun de ces êtres, à tour de rôle, restât douze heures de suite agenouillé sur la dalle ou prosterné la face contre terre et les bras en croix.

Les autres étaient des hommes ; ceux-ci étaient des femmes. Qu’avaient fait ces hommes ? Ils avaient volé, violé, pillé, tué, assassiné. C’étaient des bandits, des faussaires, des empoisonneurs, des incendiaires, des meurtriers, des parricides. Qu’avaient fait ces femmes ? Elles n’avaient rien fait.

D’un côté le brigandage, la fraude, le dol, la violence, la lubricité, l’homicide, toutes les espèces du sacrilège, toutes les variétés de l’attentat ; de l’autre une seule chose, l’innocence.

L’innocence parfaite, presque enlevée dans une mystérieuse assomption, tenant encore à la terre par la vertu, tenant déjà au ciel par la sainteté. D’un côté des confidences de crimes qu’on se fait à voix basse ; de l’autre la confession des fautes qui se fait à voix haute. Et quels crimes ! et quelles fautes !

D’un côté des miasmes, de l’autre un ineffable parfum. D’un côté une peste morale, gardée à vue, parquée sous le canon, et dévorant lentement ses pestiférés ; de l’autre un chaste embrasement de toutes les âmes dans le même foyer. Là les ténèbres ; ici l’ombre ; mais une ombre pleine de clartés, et des clartés pleines de rayonnements.

Deux lieux d’esclavage ; mais dans le premier la délivrance possible, une