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LES MISÉRABLES. — MARIUS.

On y accueillait avec des transports de joie des chansons poissardes où Napoléon était appelé Nicolas. Des duchesses, les plus délicates et les plus charmantes femmes du monde, s’y extasiaient sur des couplets comme celui-ci adressé « aux fédérés » :

Renfoncez dans vos culottes
Le bout d’chemis’ qui vous pend.
Qu’on n’ dis’ pas qu’ les patriotes
Ont arboré l’ drapeau blanc !

On s’y amusait à des calembours qu’on croyait terribles, à des jeux de mots innocents qu’on supposait venimeux, à des quatrains, même à des distiques ; ainsi sur le ministère Dessolles, cabinet modéré dont faisaient partie MM. Decazes et Deserre :

Pour raffermir le trône ébranlé sur sa base,
Il faut changer de sol, et de serre et de case.

Ou bien on y façonnait la liste de la chambre des pairs, « chambre abominablement jacobine », et l’on combinait sur cette liste des alliances de noms, de manière à faire, par exemple, des phrases comme celle-ci : Damas, Sahran, Gouvion Saint-Cyr. Le tout gaîment.

Dans ce monde-là on parodiait la révolution. On avait je ne sais quelles velléités d’aiguiser les mêmes colères en sens inverse. On chantait son petit Ça ira :

Ah ! ça ira ! ça ira ! ça ira !
Les buonapartist’ à la lanterne !

Les chansons sont comme la guillotine ; elles coupent indifféremment, aujourd’hui cette tête-ci, demain celle-là. Ce n’est qu’une variante.

Dans l’affaire Fualdès, qui est de cette époque, 1816, on prenait parti pour Bastide et Jausion, parce que Fualdès était « buonapartiste ». On qualifiait les libéraux, les frères et amis ; c’était le dernier degré de l’injure.

Comme certains clochers d’église, le salon de madame la baronne de T. avait deux coqs. L’un était M. Gillenormand, l’autre était le comte de Lamothe-Valois, duquel on se disait à l’oreille avec une sorte de considération : Vous savez ? C’est le Lamothe de l’affaire du collier. Les partis ont de ces amnisties singulières.

Ajoutons ceci : dans la bourgeoisie, les situations honorées s’amoindrissent par des relations trop faciles ; il faut prendre garde à qui l’on admet ; de même qu’il y a perte de calorique dans le voisinage de ceux qui ont