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LES MISÉRABLES. — MARIUS.

viennent, spectres, toujours identiquesj seulement ils ne portent plus les mêmes noms et ils ne sont plus dans les mêmes peaux.

Les individus extirpés, la tribu subsiste.

Ils ont toujours les mêmes facultés. Du truand au rôdeur, la race se maintient pure. Ils devinent les bourses dans les poches, ils flairent les montres dans les goussets. L’or et l’argent ont pour eux une odeur. Il y a des bourgeois naïfs dont on pourrait dire qu’ils ont l’air volables. Ces hommes suivent patiemment ces bourgeois. Au passage d’un étranger ou d’un provincial, ils ont des tressaillements d’araignée.

Ces hommes-là, quand, vers minuit, sur un boulevard désert, on les rencontre ou on les entrevoit, sont effrayants. Ils ne semblent pas des hommes, mais des formes faites de brume vivante j on dirait qu’ils font habituellement bloc avec les ténèbres, qu’ils n’en sont pas distincts, qu’ils n’ont pas d’autre âme que l’ombre, et que c’est momentanément, et pour vivre pendant quelques minutes d’une vie monstrueuse, qu’ils se sont désagrégés de la nuit.

Que faut-il pour faire évanouir ces larves ? De la lumière. De la lumière à flots. Pas une chauve -souris ne résiste à l’aube. Éclairez la société en dessous.