Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IV.djvu/561

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
547
RELIQUAT DES MISÉRABLES.

Dans les choses sociales, là où tout est maladie et demande remède, la peinture, pour être efficace, doit parfois être un écorché.

Alors tout s’explique. On voit à l’œil nu, chacune dans son compartiment, la fatalité et la passion. L’organisme est un fait, l’attraction en est un autre. En quoi l’appétit diffère du besoin, en quoi la convoitise diffère de la faim ; ces nuances, entre lesquelles il y a des mondes, se révèlent. L’estomac et le ventre, c’est deux. L’estomac ne peut mal faire.

Une fois la peau ôtée, plus de mystère. L’intérieur instructif apparaît. Les pourquoi disent leur secret ; les points d’interrogation ôtent leur masque ; on trouve les clefs perdues des vieilles serrures ténébreuses qui ne s’ouvraient pas. Regarder le mal, c’est le vaincre. On vient, on voit, on triomphe. Veni, vidi, vici. Sans doute il reste toujours un problème, un X, un inconnu. Une certaine quantité d’ombre sacrée persiste. Mais tout ce qui peut être su, on l’apprend, tout ce qui peut être guéri, on l’étudié. On touche la limite ; on va jusqu’où Dieu laisse aller l’homme.

Mettons donc le cadavre sur la table. Le Vésale social a un droit égal à son devoir. Faisons l’histoire du dedans. Ouvrons toutes ces questions redoutables : le voleur, l’assassin, la prostituée.

D’ailleurs, pourquoi reculerions-nous ? Clio n’est pas Araminthe. La philosophie n’est pas une bégueule ; il lui suffit d’être pure comme les astres. Les pruderies qui voilent les plaies, et qui prennent un ulcère pour une nudité, sont ineptes. Qu’est-ce qu’une orthopédie baissant les yeux devant une épine dorsale ? qui veut guérir doit oser voir. Il y a dans le devoir accompli une chasteté suprême.

Et puis, ce que fait l’histoire politique est-il interdit à l’histoire sociale ? l’une est-elle moins de bronze que l’autre ? la colossale horreur est-elle ouverte à ceux-ci, fermée à ceux-là, et Juvénal y a-t-il moins ses entrées que Tacite ? n’y a-t-il pas haute leçon et profit moral à montrer en quoi Soumard confine à Caligula, et à décomposer les enchaînements du gouffre ? La comtesse de Soissons est amie avec la Voisin. La même bête fauve hurle en haut et en bas ; la veuve Médicis est féroce, mais impure. Charles IX rêve ? à quoi ? au massacre, ou à l’orgie ? on voit les jupes courtes et les genoux blancs des filles d’honneur à travers la grille du balcon de la Saint Barthélémy ; le premier des palais et le dernier des bouges, le Louvre et le lupanar, ont le même radical : loup.

Que nous veut donc la pédanterie académique et officielle ? les historiographes eux-mêmes, Guichardin en tête, hésitent-ils à parler de Jeanne de Naples et de Lucrèce Borgia ? si Poppée est de l’histoire, la belle écaillère en est ; la transition est toute faite de Faustine à Margot ; Cléopâtre est la première arche du pont ; Jeanneton est la seconde. Quel droit Agrippine a-t-elle que n’ait point Chignon-la-Rousse ? puisque vous racontez Sémiramis, pourquoi ne raconterions-nous pas Catin ? Quoi, de la même femme, on pourra dire la fin, mais non le commencement ? la comtesse Du Barry ; soit. Mais Jeanne Vaubernier, chut. Paillasse pour paillasse ; j’aime autant celle de Mimi Rosette que celle de Messaline. Pourquoi le lit de sangle se cacherait-il quand la pourpre n’a pas honte ? en pareil cas, du grabat au trône, il n’y a que la distance de la Scarron à la Maintenon, et la savate vaut la pantoufle. Devant l’histoire, le gynécée impérial de Théodora est tutoyé par