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HISTORIQUE DES MISÉRABLES.

la robe de Cosette presque jusqu’à la hauteur de la jarretière, dans le jardin du Luxembourg, et surprenant un invalide qui paraît satisfait du spectacle dont il vient d’être le témoin ? Marius a eu envie d’exterminer l’indiscret.

Dans ces pages exquises, toutes remplies de délicates et chastes tendresses, on retrouve la naïveté, la candeur, la fraîcheur de sentiments qui ont inspiré au fiancé les lettres à Adèle. Le Marius amoureux a une parenté assez étroite avec Victor Hugo amoureux à vingt ans.

Si nous passons aux opinions de Marius, nous rencontrons encore là des analogies. Victor Hugo avait conçu son Marius vers 1830 ; royaliste par sa mère, bonapartiste par son père, il avait donné à son héros un grand-père royaliste, Gillenormand, et un père bonapartiste, un soldat de Bonaparte. Il avait montré quelle puissance exerçait sur l’éducation première le milieu dans lequel un enfant avait vécu ; et il traçait en 1845-1848 le portrait de Marius encore enfant. Les événements, en imprimant à la politique une orientation nouvelle, devaient dans un jeune cerveau comme celui de Marius avoir un écho et provoquer de graves réflexions. À cette époque, Victor Hugo, qui, même dans sa jeunesse, avait, au fond, des sentiments démocratiques, qui était un libéral, était amené par une pente toute naturelle à s’affranchir progressivement des doctrines qui lui avaient été inculquées autrefois et à devenir républicain ; et, de même qu’on assiste par l’idylle du Luxembourg et de la rue Plumet et par les Lettres à la fiancée à l’évolution d’un cœur, on est le témoin de l’évolution d’un esprit subissant les empreintes successives de l’éducation première, de l’enseignement des événements et des leçons de l’expérience.

Voilà pourquoi on trouvera cette note qui date de 1860 :


Modifier absolument Marius et lui faire juger Napoléon vrai.

3 phases :
1° royaliste ;
2° bonapartiste ;
3° républicain.

Et ce sera l’occasion pour Victor Hugo de nous représenter la lutte entre le présent et le passé et de mettre dans la bouche de ses personnages d’éloquents plaidoyers en faveur de leurs idées, tout en exposant comment une jeune intelligence peut être amenée par la réflexion, l’étude, la maturité, à se ranger du côté de la cause de la liberté et du progrès.


Nous avons indiqué les origines des principaux acteurs du roman : Mgr Myriel, Jean Valjean, Fantine, Marius.

Il nous resterait, pour compléter ce chapitre, à expliquer comment Victor Hugo s’est documenté sur les faits historiques qui encadrent l’action, mais peut-être cet examen, qui ne s’appliquerait pas directement aux origines des Misérables, serait-il mieux placé plus loin quand nous suivrons la marche du travail.

Cependant un des livres historiques des Misérables : Le 5 juin 1832, figure dans le plan primitif du roman et se rattache à ses origines. Le 5 juin, Victor Hugo, en se promenant au jardin des Tuileries, avait trouvé la dernière scène du premier acte du Roi s’amuse, le discours de Saint-Vallier, et s’apercevant qu’on chassait le public du jardin, il apprit qu’une insurrection avait éclaté à l’occasion des funérailles du général Lamarque. Il se rendit au passage du Saumon, là où on dressait des barricades ; il raconte dans les Misérables les faits dont il fut témoin ; le lendemain, il dînait chez Émile Deschamps, et Jules de Rességuier raconta l’héroïque défense du cloître Saint-Merry, qui fournit à Victor Hugo l’occasion d’écrire quelques pages vibrantes sur ces événements.