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HISTORIQUE DES MISÉRABLES.

Mais, malgré cette annonce, Victor Hugo ne reprenait pas son roman, c’était la poésie qui l’attirait, peut-être aussi craignait-il qu’on ne vît dans les Misérables un roman de combat, et jugeait-il plus sage de marquer un temps d’arrêt.

Vers la même époque il traçait volontiers des programmes de publications. Nous avons retrouvé cette note :

socialisme



(Progrès. — Raison.)
Les Misérables. — Roman. — 6 vol.



naturalisme



(Plus que progrès. — Raison.)
(Plus que raison. — Sagesse.)
(La vie universelle de cette vie.)
Dieu, poëme.
La Fin de Satan
Homo, drame.
Entièrement nouveau comme fond et forme dans la manière de l’auteur.


Plus : les Petites Épopées.

(Toutes les lueurs de l’Histoire sur le côté héroïque et merveilleux de l’homme.)

Plusieurs drames sous ce titre :
Le Théâtre en liberté.

Plusieurs autres sous ce titre :
Les Drames de l’invisible.

Un volume (poésie) sous ce titre :
Chansons des rues et des bois.

Du reste naturalisme et socialisme sont mêlés dans tous ces livres. — Seulement la dominante est tantôt socialisme, tantôt naturalisme. Il y a en outre un livre de philosophie, produit d’une méditation de vingt-cinq ans et intitulé : Essai d’explication.


Victor Hugo faisait paraître, conformément à l’annonce précédente, les Contemplations, et au moment où Hetzel lui parlait de son roman des Misérables, il lui répondait par les Petites Épopées qu’il devait publier en 1859 sous le titre de la Légende des Siècles.

Cependant Victor Hugo, ayant payé son large tribut à la poésie, songe au bout de douze années à son roman inachevé. Il ne s’en était pas inquiété outre mesure ; n’avait-il pas le temps ? N’avait-il pas devant lui les longues heures que la solitude accordait au travail ? Il vivait dans son île avec sa famille et quelques amis ; il ne risquait pas d’être trop importuné par les visiteurs.

En dépit de l’espoir que nourrissent toujours les exilés d’un changement inattendu dans la politique, on ne pouvait guère prévoir un ébranlement du régime impérial. Le 15 août 1859, Napoléon III, en décrétant l’amnistie générale, fortifiait la conviction de ceux qui avaient confiance dans la solidité de l’empire, et c’était pour Victor Hugo la certitude qu’il pourrait désormais achever son roman.

En effet, au printemps de 1860, le 25 avril, il tire les Misérables de sa malle aux manuscrits. On ne reprend pas du jour au lendemain une œuvre interrompue pendant douze ans et dont la conception remonte en réalité à 1830. Des transformations ont pu s’opérer dans les idées, surtout pour un livre qui soulève tant de problèmes et qui évoque la question sociale, la question politique, la question religieuse.

De nombreux événements se sont produits. Le temps, la réflexion, la maturité ont apporté des lumières nouvelles. Et le premier soin de Victor Hugo est de relire son manuscrit tout entier et ses notes. Et c’est alors que lui vient un scrupule. Sans doute l’action du drame est nettement établie, mais la leçon morale se dégage-t-elle avec une clarté suffisante ? Le caractère de l’œuvre ressort-il avec toute sa limpidité ? Il redoute les obscurités, et alors il entreprend cette grande préface philosophique dont nous avons raconté l’histoire dans le précédent volume. Ce n’est pas tout ; à l’époque où Victor Hugo écrivait son roman,