Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Roman, tome IX.djvu/176

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était à Courtillé-le-Bâtard, dit l’Apôtre saint Paul, chef du camp de la Vache-Noire ; le bois de Burgault qui était à cet énigmatique Monsieur Jacques, réservé à une fin mystérieuse dans le souterrain de Juvardeil ; il y avait le bois de Charreau où Pimousse et Petit-Prince, attaqués par la garnison de Châteauneuf, allaient prendre à bras-le-corps dans les rangs républicains des grenadiers qu’ils rapportaient prisonniers ; le bois de la Heureuserie, témoin de la déroute du poste de la Longue-Faye ; le bois de l’Aulne d’où l’on épiait la route entre Rennes et Laval ; le bois de la Gravelle qu’un prince de La Trémoille avait gagné en jouant à la boule ; le bois de Lorges dans les Côtes-du-Nord, où Charles de Boishardy régna après Bernard de Villeneuve ; le bois de Bagnard, près Fontenay, où Lescure offrit le combat à Chalbos qui, étant un contre cinq, l’accepta ; le bois de la Durondais que se disputèrent jadis Alain le Redru et Hérispoux, fils de Charles le Chauve ; le bois de Croqueloup, sur la lisière de cette lande où Coquereau tondait les prisonniers ; le bois de la Croix-Bataille qui assista aux insultes homériques de Jambe-d’Argent à Morière et de Morière à Jambe-d’Argent ; le bois de la Saudraie que nous avons vu fouiller par un bataillon de Paris. Bien d’autres encore.

Dans plusieurs de ces forêts et de ces bois, il n’y avait pas seulement des villages souterrains groupés autour du terrier du chef ; mais il y avait encore de véritables hameaux de huttes basses cachés sous les arbres, et si nombreux que parfois la forêt en était remplie. Souvent les fumées les trahissaient. Deux de ces hameaux du bois de Misdon sont restés célèbres, Lorrière, près de l’étang, et, du côté de Saint-Ouen-les-Toits, le groupe de cabanes appelé la Rue-de-Bau.

Les femmes vivaient dans les huttes et les hommes dans les cryptes. Ils utilisaient pour cette guerre les galeries des fées et les vieilles sapes celtiques. On apportait à manger aux hommes enfouis. Il y en eut qui, oubliés, moururent de faim. C’étaient d’ailleurs des maladroits qui n’avaient pas su rouvrir leurs puits. Habituellement le couvercle, fait de mousse et de branches, était si artistement façonné, qu’impossible à distinguer du dehors dans l’herbe, il était très facile à ouvrir et à fermer du dedans. Ces repaires étaient creusés avec soin. On allait jeter à quelque étang voisin la terre qu’on ôtait du puits. La paroi intérieure et le sol étaient tapissés de fougère et de mousse. Ils appelaient ce réduit « la loge ». On était bien là, à cela près qu’on était sans jour, sans feu, sans pain et sans air.

Remonter sans précaution parmi les vivants et se déterrer hors de propos était grave. On pouvait se trouver entre les jambes d’une armée en marche. Bois redoutables ; pièges à doubles trappes. Les bleus n’osaient entrer, les blancs n’osaient sortir.