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OÙ LE PETIT GAVROCHE TIRE PARTI…

— Monsieur, répondit l’aîné, nous n’avons pas mangé depuis tantôt ce matin.

— Vous êtes donc sans père ni mère ? reprit majestueusement Gavroche.

— Faites excuse, monsieur, nous avons papa et maman, mais nous ne savons pas où ils sont.

— Des fois, cela vaut mieux que de le savoir, dit Gavroche qui était un penseur.

— Voilà, continua l’aîné, deux heures que nous marchons, nous avons cherché des choses au coin des bornes, mais nous ne trouvons rien.

— Je sais, fit Gavroche. C’est les chiens qui mangent tout.

Il reprit après un silence :

— Ah ! nous avons perdu nos auteurs. Nous ne savons plus ce que nous en avons fait. Ça ne se doit pas, gamins. C’est bête d’égarer comme ça des gens d’âge. Ah çà ! il faut licher pourtant.

Du reste il ne leur fit pas de questions. Erre sans domicile, quoi de plus simple ?

L’aîné des deux mômes, presque entièrement revenu à la prompte insouciance de l’enfance, fit cette exclamation :

— C’est drôle tout de même. Maman qui avait dit qu’elle nous mènerait chercher du buis bénit le dimanche des rameaux.

— Neurs, répondit Gavroche.

— Maman, reprit l’aîné, est une dame qui demeure avec mamselle Miss.

— Tanflûte, repartit Gavroche.

Cependant il s’était arrêté, et depuis quelques minutes il tâtait et fouillait toutes sortes de recoins qu’il avait dans ses haillons.

Enfin il releva la tête d’un air qui ne voulait qu’être satisfait, mais qui était en réalité triomphant.

— Calmons-nous, les momigpards. Voici de quoi souper pour trois.

Et il tira d’une de ses poches un sou.

Sans laisser aux deux petits le temps de s’ébahir, il les poussa tous deux devant lui dans la boutique du boulanger, et mit son sou sur le comptoir en criant :

— Garçon ! cinque centimes de pain.

Le boulanger, qui était le maître en personne, prit un pain et un couteau.

— En trois morceaux, garçon ! reprit Gavroche, et il ajouta avec dignité :

— Nous sommes trois.

Et voyant que le boulanger, après avoir examiné les trois soupeurs, avait pris un pain bis, il plongea profondément son doigt dans son nez avec une