Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome I.djvu/305

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Qu’a-t-il besoin de cour ? de cortège ? de garde ?
Il chante, il rit, il passe, et nul ne le regarde.
Que lui fait l’avenir ? il aura bien toujours,
L’hiver, pour se vêtir, un lambeau de velours.
Un gîte, un peu de pain mendié par des rires.
Sans disputer sa vie aux embûches des sbires,
Il dort toutes ses nuits, n’a point de songe affreux.
Se réveille et ne pense à rien. — Qu’il est heureux !
Sa parole est du bruit ; son existence un rêve.
Et quand il atteindra le terme où tout s’achève.
Cette faulx de la mort, dont nul ne se défend.
Ne sera qu’un hochet pour ce vieillard enfant !
En attendant, sa voix, s’il faut pleurer ou rire,
Donne le son qu’on veut, fait le cri qu’on désire,
Discourt à tout hasard, et chante à tout propos.
Son agitation couvre un profond repos.
Vivant jouet d’autrui, tête creuse et sonore.
Parlant, ainsi que l’eau murmure et s’évapore,
Il vibre au moindre choc, à s’émouvoir plus prompt
Que ces grelots d’argent qui tremblent sur son front.
Jamais ce fou ne prit cette peine insensée
D’enfermer, comme moi, le monde en sa pensée ;
Jamais des mots profonds, des soupirs éloquents
Ne sortent de son cœur, comme un feu des volcans.
Son âme, — a-t-il une âme ? — incessamment sommeille.
Il ne sait point le jour ce qu’il a fait la veille.
Il n’a point de mémoire ; hélas, qu’il est heureux !
Jamais, troublé la nuit de pensers ténébreux.
Il n’a, pressant le pas sous quelque voûte sombre.
Craint de tourner la tête et d’entrevoir une ombre.
Il ne souhaite pas qu’on puisse l’oublier,
Et que l’an n’eût jamais eu de trente janvier !
Ah ! malheureux Cromwell ! ton fou te fait envie.

Te voilà tout-puissant ; — qu’as-tu fait de ta vie ?
Une pause.
Tu règnes, tu prévaus sur le monde effrayé.

Que tout ce grand éclat est chèrement payé !
Les partis t’ont laissé ; le peuple te renie ;
Ta famille toujours lutte avec ton génie,
Et, de ses volontés te faisant une loi.
Te tiraille en tout sens par ton manteau de roi !
Ton fils lui-même... Ah ! Dieu! tout me hait, tout m’accable.
J’ai des ennemis, pleins d’une haine implacable.
Partout sur cette terre, — et même encore ailleurs.