Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome I.djvu/344

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LE DOCTEUR JENKINS, arrêtant Clifford.
Quoi ! messieurs, sans juges, sans témoins,
Sans verdict du jury, sans loi, sans procédure ?

C’est un assassinat ! L’expression est dure ;
Mais enfin êtes-vous, par mandat spécial,
Une cour de justice, un conseil martial ?
Où sont, pour que les lois ne soient point violées,
Vos lettres d’assesseurs, du sceau royal scellées ?
Lequel est attorney ? lequel est président ?
Je ne vois point ici deux avocats plaidant.
L’un pour cet accusé, l’autre pour la couronne.
Quel appareil légal enfin vous environne ?
Savez-vous seulement le latin pour juger ?
Confronter les témoins et les interroger ?
Sur des textes formels bien asseoir la sentence
Qui condamne à la claie ou bien à la potence ?
À quel jour êtes-vous de votre session ?
Comment dater l’arrêt de condamnation ?
Quel est le corps du crime ? où sont tous les complices ?
Sur quels chefs de délit basez-vous les supplices ?
Ce sont les lois qu’ici je défends ; non Cromwell. —
Lui, quoique non jugé, je le crois criminel ;
Il a du roi son maître oublié l’allégeance ;
Cas prévu par la loi qui frappe en sa vengeance,
Qui lædit in rege majestatem Dei.
Bref, aux lois d’Angleterre il a désobéi.
Que, pour faire éclater leur majesté sacrée,
La tête du félon du tronc soit séparée.
C’est fort bien ; mais il faut quelques formes aussi
Messieurs, vous ne pouvez le condamner ainsi.
Vous prenez qualités que jamais on n’assemble.
Se faire accusateur et témoin, tout ensemble,
Être juge et bourreau, c’est absurde ! et ma voix
Contre cet attentat proteste au nom des lois.

CROMWELL, à part.
Je reconnais Jenkins, le magistrat intègre !
LORD CLIFFORD, aux cavaliers en haussant les épaules.
Que diable nous vient-il dire avec sa voix aigre ?