Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Théâtre, tome I.djvu/371

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Jette aujourd’hui son ombre à l’ombre de Stuart !
Ah ! nous y voilà donc ! ce despote hypocrite
Exhume à son profit la royauté proscrite ;
Et, pour reprendre à Charle un sceptre ensanglanté,
Fouille dans le sépulcre où nos mains l’ont jeté.
Cromwell ose ravir la couronne à la tombe :
Qu’en entraînant Cromwell la couronne y retombe !
Et si plus tard quelque autre ose encor régner seul.
Que la robe de roi soit toujours un linceul !

LAMBERT, à part.
Il va trop loin.
OVERTON, poursuivant.
Qu’il soit anathème !

TOUS.
Anathème !

OVERTON, continuant.
Tout conspire avec nous, tout, et Cromwell lui-même.

Oui, messieurs, sa fortune aveugle ce Cromwell,
Qui semble un Attila fait par Machiavel.
S’il ne nous aidait point, notre vaine colère
S’userait à miner son pouvoir populaire ;
C’est lui seul qui se perd, en ne comprenant pas
Qu’il change le terrain où s’appuyaient ses pas ;
Qu’il sort du sol natal pour mourir, et qu’en somme,
En devenant un roi, Cromwell n’est plus qu’un homme.
Sous ce titre de mort, il s’offre à tous les coups.
La foule, son appui, le quitte et passe à nous ;
Lui seul, entre elle et lui, signe un fatal divorce.
En nous donnant le peuple, il nous donne sa force.
On veut être opprimé, foulé, suivant la loi.
Par un lord-Protecteur, mais jamais par un roi.
D’un tyran plébéien le peuple s’accommode.
Olivier, Protecteur, fut-il pire qu’Hérode,
Lui semble encor le seul dont le front sans bandeau
Peut porter de l’état le vacillant fardeau.
Mais que ce même front ceigne le diadème,
Tout change ; et ce n’est plus, pour ce peuple qui l’aime,
Qu’une tête de roi, bonne pour le bourreau !