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CROMWELL.

Le gardien de la tour, Barksthead le régicide,
Que l’espoir du pardon à nous servir décide.
Tu vois avec quel art le complot est formé.
Dans un vaste réseau Cromwell est enfermé.
Il n’échappera pas ! Les partis unanimes
Sous le trône qu’il dresse ont creusé des abîmes.
Voilà pour quel dessein je viens du continent.
Je voudrais te sauver, Broghill ; et maintenant
Je t’interpelle au nom de Charles deux, mon maître.
Veux-tu vivre fidèle, ou veux-tu mourir traître ?


LORD BROGHILL.

Ah ! que dis-tu ?


LORD ORMOND.

Reviens sous le drapeau royal.


LORD BROGHILL.

Hélas ! je fus aussi sujet digne et loyal,
Ormond ; pour notre roi, dans les guerres civiles,
J’ai pris des châteaux-forts, j’ai défendu des villes,
Et je suis devenu, par un destin cruel.
De soldat des Stuarts, courtisan de Cromwell !
Laisse à son triste sort un malheureux transfuge.
Cher Ormond ; à ton tour, écoute, et sois mon juge.
— C’était durant la guerre avec le parlement.
J’étais venu dans Londre armer un régiment ;
Et caché comme toi, ma tête était proscrite.
Un jour, d’un inconnu je reçois la visite ;
C’était Cromwell. — Ma vie était en son pouvoir.
Il me sauva. Pour lui, j’oubliai mon devoir ;
Il s’empara de moi ; bientôt, que te dirai-je ?
Je devins comme lui rebelle et sacrilège,
À ses républicains mon bras servit d’appui.
Et, levé pour mon roi, combattit contre lui.
— Depuis, Cromwell m’a fait membre de sa pairie.
Lieutenant général de son artillerie.
Lord de sa haute cour et du conseil privé.
Ainsi, par ses faveurs dans sa cour élevé,
S’il tombe, auprès de lui je dois tomber victime ;
Et je ne puis, rebelle à mon roi légitime.
Quelque amour qui me lie à sa noble maison,
Dans la fidélité rentrer sans trahison.