Page:Hugo - Actes et paroles - volume 2.djvu/181

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
173
POUR CHARLES HUGO.

droit du législateur, ce droit nécessaire, ce droit imprescriptible, vous le reconnaîtrez par votre verdict, vous acquitterez les accusés.

Mais le ministère public, c’est là son second argument, prétend que la critique de l’Événement a été trop loin, a été trop vive. Ah ! vraiment, messieurs les jurés, le fait qui a amené ce prétendu délit qu’on a le courage de reprocher au rédacteur de l’Événement, ce fait effroyable, approchez-vous-en, regardez-le de près.

Quoi ! un homme, un condamné, un misérable homme, est traîné un matin sur une de nos places publiques ; là, il trouve l’échafaud. Il se révolte, il se débat, il refuse de mourir. Il est tout jeune encore, il a vingt-neuf ans à peine… — Mon Dieu ! je sais bien qu’on va me dire : C’est un assassin ! Mais écoutez !… — Deux exécuteurs le saisissent, il a les mains liées, les pieds liés, il repousse les deux exécuteurs. Une lutte affreuse s’engage. Le condamné embarrasse ses pieds garrottés dans l’échelle patibulaire, il se sert de l’échafaud contre l’échafaud. La lutte se prolonge, l’horreur parcourt la foule. Les exécuteurs, la sueur et la honte au front, pâles haletants, terrifiés, désespérés, — désespérés, de je ne sais quel horrible désespoir, — courbés sous cette réprobation publique qui devrait se borner à condamner la peine de mort et qui a tort d’écraser l’instrument passif, le bourreau (mouvement), les exécuteurs font des efforts sauvages. Il faut que force reste à la loi, c’est la maxime. L’homme se cramponne à l’échafaud et demande grâce. Ses vêtements sont arrachés, ses épaules nues sont en sang ; il résiste toujours. Enfin, après trois quarts d’heure, trois quarts d’heure !… (Mouvement. M. l’avocat général fait un signe de dénégation. M. Victor Hugo reprend.) — On nous chicane sur les minutes… trente-cinq minutes, si vous voulez ! — de cet effort monstrueux, de ce spectacle sans nom, de cette agonie, agonie pour tout le monde, entendez vous bien ? agonie pour le peuple qui est là autant que pour le condamné, après ce siècle d’angoisse, messieurs les jurés, on ramène le misérable à la prison. Le peuple respire. Le peuple, qui a des préjugés de vieille humanité, et qui est clément parce qu’il se sent souverain, le peuple croit l’homme