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DOTATION DE M. BONAPARTE.


ordre, de trouble, d’agitation dont souffrent tous les intérêts ; ce conflit a presque les proportions d’une calamité publique.

Or, messieurs, sondez ce conflit. Qu’y a-t-il au fond ? La dotation.

Oui, sans la dotation, vous n’auriez pas eu les voyages, les harangues, les revues, les banquets de sous-officiers mêlés aux généraux, Satory, la place du Havre, la société du Dix-Décembre, les cris de vive l’Empereur ! et les coups de poing. Vous n’auriez pas eu ces tentatives prétoriennes qui tendaient à donner à la république l’empire pour lendemain. Point d’argent, point d’empire.

Vous n’auriez pas eu tous ces faits étranges qui ont si profondément inquiété le pays, et qui ont dû irrésistiblement éveiller le pouvoir législatif et amener le vote de ce qu’on a appelé la coalition, coalition qui n’est au fond qu’une juxtaposition.

Rappelez-vous ce vote, messieurs ; les faits ont été apportés devant vous, vous les avez jugés dans votre conscience, et vous avez solennellement déclaré votre défiance.

La défiance du pouvoir législatif contre le pouvoir exécutif !

Or, comment le pouvoir exécutif, votre subordonné après tout, a-t-il reçu cet avertissement de l’assemblée souveraine ?

Il n’en a tenu aucun compte. Il a mis à néant votre vote. Il a déclaré excellent ce cabinet que vous aviez déclaré suspect. Résistance qui a aggravé le conflit et qui a augmenté votre défiance.

Et aujourd’hui que fait-il ?

Il se tourne vers vous, et il vous demande les moyens d’achever quoi ? Ce qu’il avait commencé. Il vous dit : — Vous vous défiez de moi. Soit ! payez toujours, je vais continuer.

Messieurs, en vous faisant de telles demandes, dans un tel moment, le pouvoir exécutif écoute peu sa dignité. Vous écouterez la vôtre et vous refuserez.

Ce qu’a dit M. Faucher des intérêts du pays, lorsqu’il a nommé M. Bonaparte, est-il vrai ? Moi qui vous parle, j’ai voté pour M. Bonaparte. J’ai, dans la sphère de mon action, favorisé son élection. J’ai donc le droit de dire quelques mots des sentiments de ceux qui ont fait comme moi, et des miens propres. Eh bien ! non, nous n’avons pas voté pour Napoléon, en tant que Napoléon ; nous avons voté pour l’homme qui, mûri par la prison politique, avait écrit, en faveur des classes pauvres, des livres remarquables. Nous avons voté pour lui, enfin, parce qu’en face de tant de prétentions monarchiques nous trouvions utile qu’un prince abdiquât ses titres en recevant du pays les fonctions de président de la république.

Et puis, remarquez encore ceci, ce prince, puisqu’on attache tant d’importance à rappeler ce titre, était un prince révolutionnaire, un membre d’une dynastie parvenue, un prince sorti de la révolution, et qui, loin d’être la négation de cette révolution, en était l’affirmation. Voilà pourquoi nous l’avions nommé. Dans ce con-