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LA LIBERTÉ DE LA PRESSE.

met cyniquement deux poids et deux mesures dans la main de la loi.

En dehors de la politique, ce projet fait ce qu’il peut pour diminuer la gloire et la lumière de la France. Il ajoute des impossibilités matérielles, des impossibilités d’argent, aux difficultés innombrables déjà qui gênent en France la production et l’avènement des talents. Si Pascal, si La Fontaine, si Montesquieu, si Voltaire, si Diderot, si Jean-Jacques, sont vivants, il les assujettit au timbre. Il n’est pas une page illustre qu’il ne fasse salir par le timbre. Messieurs, ce projet, quelle honte ! pose la griffe malpropre du fisc sur la littérature ! sur les beaux livres ! sur les chefs-d’œuvre ! Ah ! ces beaux livres, au siècle dernier, le bourreau les brûlait, mais il ne les tachait pas. Ce n’était plus que de la cendre ; mais cette cendre immortelle, le vent venait la chercher sur les marches du palais de justice, et il l’emportait, et il la jetait dans toutes les âmes, comme une semence de vie et de liberté ! (Mouvement prolongé.)

Désormais les livres ne seront plus brûlés, mais marqués. Passons.

Sous peine d’amendes folles, d’amendes dont le chiffre, calculé par le Journal des Débats lui-même, peut varier de 2 500 000 francs à 10 millions pour une seule contravention (violentes dénégations au banc de la commission et au banc des ministres) ; je vous répète que ce sont les calculs mêmes du Journal des Débats, que vous pouvez les retrouver dans la pétition des libraires, et que ces calculs, les voici. (L’orateur montre un papier qu’il tient à la main.) Cela n’est pas croyable, mais cela est ! — Sous la menace de ces amendes extravagantes (nouvelles dénégations au banc de la commission : — Vous calomniez la loi), ce projet condamne au timbre toute édition publiée par livraisons, quelle qu’elle soit, de quelque ouvrage que ce soit, de quelque auteur que ce soit, mort ou vivant ; en d’autres termes, il tue la librairie. Entendons-nous, ce n’est que la librairie française qu’il tue, car, du contrecoup, il enrichit la librairie belge. Il met sur le pavé notre imprimerie, notre librairie, notre fonderie, notre papeterie, il détruit nos ateliers, nos manufactures, nos usines ; mais